Recension
Benoit AWAZI MBAMBI KUNGUA, Panorama des théologies négro-africaines
anglophones, Paris, l’Harmattan, 2008, 283 pages. ISBN :
978-2-296-06056-2, 27,50 €
Par Innocent Mpoze (innocent.gas@gmail.com)
Il y a quelques mois, j’ai lu une réflexion de Gilbert
Delanoue, un prêtre de la communauté ‘’Mission de France’’ qui passe
aujourd’hui le moment de sa retraite à Havre. Après d’intenses années de
service dans le sacerdoce comme curé des paroisses, il a trouvé utile de livrer
au public un cahier riche en pensée au titre de : ‘’Les questions de
ma foi et quelques réponses’’, où il poursuit deux objectifs :
faire le point sur la façon dont il partage la foi de l’Église et faire
connaître aux croyants ou incroyants, les questions qu’il se pose et comment il
y répond pour susciter des échanges fraternels.
De cette lecture remonte ma ferme et ardue décision de
consacrer mon temps aujourd’hui à la lecture des théologiens africains pour
puiser dans leur verbe quelques lumières à même d’éclairer mes interrogations
sur le christianisme pour éviter tout subjectivisme qui inconsciemment et/ou
consciemment, a caractérisé le jeune enfant de la catéchèse devenu après
catéchiste, le servant des messes et le jeune vocationnel que j’étais depuis ma
tendre enfance. Ainsi sur ma route de lectures, un livre a retenu mon
attention, c’est le Panorama des théologies négro-africaines anglophones.
Son auteur est le philosophe, théologien et sociologue congolais Benoît AWAZI
MBAMBI KANGU. Aujourd’hui président du CERCLECAD (Ottawa, Canada), il est
écrivain et auteur de plusieurs publications. Ses recherches
pluridimensionnelles articulent judicieusement les ressources de la théologie,
de la philosophie et des sciences sociales et politiques dans la recherche des
stratégies efficaces de « sortie » de la crise protéiforme qui
paralyse et bloque les sociétés noires contemporaines (Panorama des
théologies négro-africaines anglophones, verso page de couverture).
Citant d’entrée de jeu les déclarations de Joseph
Ratzinger (reconnu par le nom de Benoît XVI comme pape depuis Avril 2005), au
sujet du ‘’caractère prétendument programmatique’’ de la théologie
africaine, l’auteur montre en quoi l’heure n’est plus de nos jours sur les
polémiques de la question de l’existence ou de la non-existence d’une théologie
chrétienne en Afrique, mais bien d’exposer systématiquement et théologiquement
les nouvelles modalités proprement africaines d’être disciple de Jésus-Christ
dans le monde d’aujourd’hui. L’intérêt étant de procéder à une lecture de
l’intérieur du paysage religieux africain postcolonial pour voir les
métamorphoses théologiques et les nouvelles modalités politiques, sociales et
culturelles qui apparaissent dans le christianisme africain postcolonial,
pousse l’auteur à dérouler la thèse qu’il trouve heuristique et
herméneutique : « le christianisme occidental et missionnaire
implanté en Afrique durant l’entreprise de colonisation militaire, politique et
culturelle ne deviendra effectivement et authentiquement négro-africain que si
et seulement si, les chrétiens africains posent des actes de liberté
théologique et herméneutique en se réappropriant les ressources mystiques,
théologiques, métaphysiques et politiques de la foi chrétienne pour un travail
interprétatif long, patient et exigeant. » Ainsi commence ce long voyage
littéraire consacré aux théologiens de l’aire anglophone de l’Afrique.
Subdivisé en deux chapitres, l’ouvrage repose sur trois principaux lieux que
sont l’Afrique subsaharienne, l’Afrique du sud et les États-Unis
d’Amérique. Il est de l’intérêt des Africains de découvrir la forêt que
cache l’arbre de ce livre.
Non pour détruire comme la ville de Goma l’a connu
l’année 2002, le volcan de ce livre vomit dans son premier chapitre la lave des
principaux courants de la théologie négro-africaine anglophone.
Dans une relecture de l’œuvre du théologien spiritain
nigérian, Eugen Uzukwu, le titre prend l’axe des liturgies chrétiennes
inculturées en Afrique. La personne du cardinal congolais (RDC) Joseph
Albert MALULA dans ses mérites épouse la préoccupation centrale du théologien
nigérian qu’est l’urgence de promouvoir sur le plan panafricain des
célébrations eucharistiques inculturées et vivantes qui puissent être des lieux
de vie, d’espérance et de renaissance, où les chrétiens africains puisent au
plus profond de leurs ressources culturelles, anthropologiques et religieuses
pour vivre dans la joie et l’action de grâce le Mystère de la résurrection de
Jésus-Christ. Un appel impératif à l’endroit des autorités religieuses africaines
qui usent abusivement de leur pouvoir sans se rendre compte des conséquences
désastreuses découlant de leur pouvoir autoritaire (qui est le même pour les
politiques). La première conséquence néfaste pour l’Afrique est l’exode des
jeunes Africains vers l’eldorado européen et nord-américain, pour tenter
d’échapper à la misère chronique, intellectuelle et morale qui caractérise
les sociétés africaines postcoloniales. Cet appel est celui-ci, de notre avis :
œuvrer pour s’insurger contre la non-humanité des Africains. Face aux
tragédies humaines (génocides, guerres civiles, refugiés, dictatures
militaires, malaria, Sida), souligne l’auteur, il est de la responsabilité des
théologiens et chrétiens d’agir collectivement pour la reconstruction des
sociétés démocratiques et pacifiques en Afrique postcoloniale. C’est à cela
que doit se concentrer et se focaliser la pastorale sociale des Eglises
africaines dans un monde, où les plus forts et les plus riches mangent les plus
faibles et les plus pauvres sans aucune vergogne. C’est aussi du rôle de
l’Eglise de lutter contre la violence politique, les discriminations raciales,
les identités coloniales qui fragilisent les sociétés africaines
contemporaines, les dictatures, les oppressions, les catastrophes naturelles
qui menacent le monde aujourd’hui.
Le deuxième axe du discernement théologique du
monde des esprits ressort des grandes figures africaines
comme messeigneurs Patrick Achille KALILOMBE et Emmanuel MILINGO. Pour le
premier, il est impossible et insensé de réfléchir sur la théologie des
religions africaines sans accorder une place primordiale et déterminante à la
question redoutable du monde invisible des esprits, des ancêtres et du Dieu
créateur de la totalité du réel visible et invisible. Ainsi dans son
étude « Spirituality in the African perspective » il montre la
place prépondérante et matricielle de la spiritualité et du monde de
l’invisible dans les récits archéologiques, sotériologiques, thérapeutiques et
eschatologiques des Africains. De Milingo, il faut retenir pour son travail
d’exorcisme qui lui a coûté divers reproches, remarques et humiliations depuis
le Saint-Siège, la radiation thérapeutique (processus de transmission
directe de l’énergie divine à un malade par l’intermédiaire d’un prophète mandaté
et envoyé par Dieu). J’aurais voulu que l’auteur exprime sa révérence à un
autre religieux et philosophe de proue de la RDC dans sa vision de la
spiritualité, il s’agit de Tshiamalenga Ntumba. Contre le substantialisme,
le dualisme, l’anthropomorphisme, le personnalisme, le créationnisme, ce
penseur congolais nous invite à l’étonnement, l’émerveillement,
l’évènementiel de chaque instant dans le cosmique, dans le vivant, dans
l’humain et dans l’imaginaire, etc., et qui serait le centre de la rencontre du
divin, du cosmique et de l’humain.[1]
L’irruption du troisième axe traite de l’herméneutique
négro-africaine de la Bible. John MBITI (théologien du Kenya) fait
apparaître dans son œuvre de facture philosophique et théologique, les
similitudes culturelles et spirituelles entre les cultures négro-africaines et
la culture hébraïque. Bien qu’il ait plus d’un aspect manifeste des relations
étroites entre les cultures africaines et la culture hébraïque, l’oralité nous
frappe d’emblée dans ce passage. Jésus lui-même, pense l’auteur, ne
nous a pas laissé des textes écrits bien qu’il sût écrire. Ainsi l’auteur
se demande si la crise spirituelle et axiologique du christianisme occidental
n’est pas d’abord et en priorité une crise de la mémoire causée par l’absence
de structures orales, familiales et communautaires de transmission de la foi
chrétienne et de la culture biblique dans une Europe industrialisée et soumise
à la dictature sournoise de la rationalité instrumentale, matérialiste,
positiviste et athée. Si la communauté ecclésiale n’a de sens et de
cohésion qu’autour de l’adhésion de chaque chrétien au mystère pascal du
Seigneur crucifié et ressuscité et que la communauté des hébreux n’avait raison
d’être ultime que dans la fidélité à l’alliance au Sinaï entre Dieu et les
ancêtres qui sont sortis d’Egypte alors, conclue l’auteur, nous pouvons
affirmer fermement que la foi chrétienne ne peut pas se comprendre correctement
dans une culture technoscientifique et numérisée qui occulte le caractère
structurant et matriciel de la communauté vivante des humains à tous les
niveaux de la vie quotidienne.
L’axe des christologies négro-africaines inculturées prouve combien en Afrique le Christ
est adoré et célébré comme le Fils de Dieu, le Grand Guérisseur et le Grand
Vainqueur des forces du mal et de la mort. Ceci traverse aussi bien l’œuvre de
Justin UKPONG (une invite aux chrétiens de confesser le Christ comme le Fils
unique de Dieu et Sauveur du monde), le tanzanien Charles NYAMITI (son œuvre
théologique s’oriente vers la recherche des voies africaines pour une
compréhension approfondie et inculturée du Royaume de Dieu annoncé par
Jésus-Christ) qui exhorte les théologiens africains à s’impliquer dans l’étude
d’autres traditions et écoles théologiques qui constituent le patrimoine
dogmatique et kérygmatique de toute l’Eglise universelle, Bénezet BUJO (dès
lors que Jésus en tant que vainqueur devient « proto-ancêtre » dans
la puissance divine de l’amour qui transcende et surmonte tous les obstacles
qui empêchent l’épanouissement plénier de la vie qui vient de Dieu, le
théologien congolais-RDC propose un modèle démocratique de l’Eglise en Afrique,
où les laïcs sont consultés, impliqués et respectés par les prêtres et les
religieux qui n’ont ni le monopole du pouvoir ni celui de la science).
L’axe des théologiens de l’Afrique de l’Ouest embrasse l’œuvre d’Emmanuel Martey,
de Kwame Bediako, de Kwesi A. Dickson, de John S. Pobee et de Byang Kato.
Du premier nous retenons trois paradigmes (les théologies de
reconstruction, les théologies des pentecôtismes et des charismatiques du
réveil et les théologies des différentes Eglises afro-chrétiennes ou indépendantes
de toute allégeance aux Eglises chrétiennes occidentales et missionnaires) qui
constituent bien qu’encore à l’état embryonnaire, des nouvelles initiatives par
une même volonté de libération holistique du continent africain qui subit en
plein cœur les assauts virulents et intempestifs de la mondialisation
néolibérale et des idéologies athées, matérialistes, nihilistes et
consuméristes qui la sous-tendent. C’est ce même désir qui traverse de part en
part l’engagement de Kwame Bediako, Kwesi A. Dickson, John S. Pobee et Byang
Kato. Pour cela pense le professeur Kwesi A. Dickson, il faut en Afrique une
formation solide et universitaire des théologiens, des séminaristes, des
pasteurs et des chrétiens pour qu’ils soient à même de faire la théologie
africaine en se conformant aux exigences académiques et épistémologiques de la
communauté scientifique internationale. Nous pensons de notre part que
cette conformation se doit être libératrice et émancipatrice pour les
Africains, sinon elle n’a aucun sens. S’il faut se conformer, c’est
exclusivement pour éviter le déphasage, ni plus ni moins.
La partie consacrée aux théologiens de l’Afrique
du Centre et de l’Est présente le camerounais Victor Wan-Tatah, J. G
Healey, Donald F. Sybertz, Laurenti Magesa, la théologie négro-africaine de la
reconstruction (une émanation théologique de la CETA ou AAC, Gwinyai
Muzorewa. Depuis les luttes théologiques pour une christologie
négro-africaine de la libération globale, passant par la théologie africaine
narrative, la théologie prophétique africaine de la reconstruction, de la
théologie négro-africaine de la reconstruction que pense le CETA jusqu’à la
proposition d’une mise en perspective historique de la théologie
négro-africaine, ce point débouche sur une évidence qui nous semble incontournable
pour l’Afrique : notre appropriation de la foi chrétienne doit être une
libération radicale des Africains contre toutes les menaces qu’impose aux pays
du tiers du monde la politique de la mondialisation néolibérale.
L’engagement prophétique et théologico-politique de
Nelson Mandela introduit le point consacré aux théologies noires de la
libération de l’Afrique du Sud. Pour unir les oppresseurs d’un côté et
les opprimés de l’autre, Mandela mit sur pied la commission « vérité et
réconciliation.» Loin d’être parfaite, cette commission mérite d’être louée
pour avoir évité des règlements de compte et des insurrections sanglantes au
lendemain de l’effondrement du régime de l’Apartheid. Certes, l’Apartheid
en Afrique du Sud a suscité plus d’une réaction théologique pour la lutte
contre les discriminations raciales, les principaux théologiens cités par le
professeur Benoît Awazi dans son ouvrage sont entre-autres :
Simon MAIMELA, Desmond TUTU, Allan BOESAK, Albert Nolan, Itumeleng J.
Mosala pour sa théologie prophétique et révolutionnaire. Face aux
destructions morales, humaines et spirituelles causées par des siècles
d’Apartheid et d’exploitation raciale et économique de la majorité noire par
les autorités politiques et religieuses blanches, l’auteur montre en quoi
la recherche d’Albert Nolan fouille les sources spirituelles et internes de
l’Evangile à même de donner des solutions émancipatrices et radicales pour la
construction d’une nouvelle Afrique du Sud. Et Mosala pense que la bible lue
de façon dynamique, prophétique et révolutionnaire par les églises noires,
constitue un outil puissant de libération des pauvres et des exploités partout
dans le monde et plus précisément les millions des victimes de l’Apartheid en
Afrique du Sud. Dans une lutte, il est évident que l’envie de renaître doit
guider les luttes théologiques. S’il faut bien voir les désastres de l’Apartheid,
la lutte des pareilles théologies devrait ambitionner de naître dans l’avenir
pour l’ensemble de la communauté Sud-Africaine. Pour l’Afrique, aujourd’hui ses
luttes de la renaissance devraient s’inspirer de cette bataille qu’a connue
l’Afrique du Sud.
Les huitième et neuvième section du premier chapitre
aborde les points relatifs aux luttes théologiques noires aux États-Unis
d’Amérique. D’abord les théologies noires de la libération,
ensuite les débats intellectuels et politiques autour de l’afrocentrisme.
De James H. CONE, en s’appuyant sur la personne vivante et agissante de Jésus
que les Noirs doivent chercher à conquérir leur humanité et leur liberté ;
passant par Albert B. CLEAGE pour qui la tâche prioritaire de la christologie
noire de la libération consiste à confesser et à adorer le Christ comme un
leader qui combat aux côtés des Noirs pour leur libération complète et
définitive des siècles d’esclavage et de domination des Blancs dans leur vie,
ce point débouche sur une critique radicale de la théologie raciste et
européocentrique : les voies de l’humanisme noir américain de William R.
Jones. La tâche principale est ici la lutte contre le dieu raciste,
colonisateur, discriminateur et diviseur. Il en est de même pour les débats
instinctuels et politiques autour de l’afrocentrisme qui ont comme principal
objectif, selon les mots de l’auteur, à faire des valeurs culturelles et
religieuses négro-africaines l’unique centre de gravité pour tous les Noirs
désirant se réapproprier leur être ou leur âme après les siècles d’aliénation
intellectuelle, culturelle et religieuse par les puissances impérialistes
occidentales.
Si de l’axe de la théologie féministe
avec Mercy Amba ODUYOYE se pose les questions que rencontrent les femmes de la
culture africaine dans leur vie de la foi en tant que disciples à part entière
du Christ dans les sociétés africaines, la question qu’elle soulève vaut son
importance pour l’émancipation de la femme dans nos sociétés : quelles
sont les transformations et les conversions que les cultures africaines
doivent-elles subir en rencontrant Jésus-Christ et son message révolutionnaire
de la libération de tous les hommes sans aucune discrimination (âge, sexe,
condition intellectuelle, économique, sociale) des esclavages et des servitudes
de toutes sortes ? La condition marginale de femmes dans nos églises
exigent d’elles un investissement ferme dans des études bibliques comme théologiques.
Pour couronner ce chapitre, l’axe du partenariat
entre la théologie négro-africaine anglophone et l’Association œcuménique des
théologies du Tiers-Monde (EATWOT ou AOTTM) part de l’année de création
de l’organisation œcuménique des théologiens du Tiers-Monde (1976 à
Dar-es-Salam) avec pour ambition une « rupture épistémologique »
radicale opérée par les théologiens du tiers-monde par rapport aux systèmes
théologiques et philosophiques des théologies européennes et nord-américaines.
La visée est ici la libération politique et le développement économique. Bien
que les théologies du tiers-monde puissent articuler leur théorie et pratique
dans une praxis théologique libératrice et holistique, il faut noter que
la différence se trouve au niveau du contexte dans lequel se trouve telle ou
telle autre aire de vie. Certaines peuvent prendre une orientation pour relever
des défis d’ordre culturel, d’autres encore d’ordre politique, d’autres d’ordre
économico-politique selon les besoins et les urgences du milieu.
Après ce long chapitre, l’auteur se tourne vers
l’ordre du moment et inscrit les théologies négro-africaines de la
libération dans le contexte de la mondialisation néolibérale.
Aujourd’hui, pour une conversion des logiques d’exclusion qui sous-tendent
l’ordre néolibéral, des voix grondent de partout dans le monde. Dans ce
concert, les cris de théologiens ne sont pas restés sous silence. La réflexion
de ce deuxième chapitre comme le soutient l’auteur, veut montrer et mettre
en évidence les potentialités (possibilités) théologiques, spirituelles et
politiques existant dans les Eglises afro-chrétiennes du réveil qui prolifèrent
aussi bien en Afrique que dans les diasporas noires d’Europe et d’Amérique du
Nord. Dans la mesure où une pareille appréciation conduisant à voir l’acte
de fondation de ces Eglises constitue une alternative théologique à la
morosité et à la torpeur qui caractérisent les Eglises catholiques et
protestantes d’institution coloniale qui reproduisent servilement les
structures institutionnelles, théologiques et idéologiques eurocentriques et
incapables de libérer les Africains des siècles d’esclavage culturel, mental,
politique et économique, quatre sections constituent le gros de ce
chapitre : une critique sociologique et épistémologique de la
mondialisation néolibérale, une critique philosophico-théologique de la
mondialisation technologique, une interpellation des quelques grandes figures
prophétiques et charismatiques du christianisme africain postcolonial et la
signification théologico-politique des nouvelles Eglises chrétiennes
d’expression africaine qui émergent aussi bien en Afrique que dans les
diasporas européennes et nord-américaines.
La présentation du danger de colonisation et de
domestication des esprits, des mentalités et des intelligences par les
nouvelles idéologies mécanistes, nihilistes et consuméristes qui sont
abondamment et subtilement diffusées par les grandes firmes industrielles qui
contrôlent les medias audio-visuels, les journaux et les maisons d’édition pour
des ouvrages de vulgarisation et d’incitation à la consommation pour les
masses, constitue la charnière de la première section. Après avoir brossé les
maux de la mondialisation néolibérale, le professeur congolais pense aux
mouvements sociaux qui travaillent pour des alternatives culturelles,
religieuses, politiques et économiques en les invitant à donner aux individus
des moyens intellectuels et pratiques pour se libérer eux-mêmes de la nouvelle
dictature totalitaire du marché mondial .
Pour la deuxième section, il montre combien de la
mondialisation technologique résulte une misère anthropologique et religieuse
énorme, car l’homme est réduit de façon unilatérale à un statut d’automate prêt
à consommer les produits et services proposés par les propagandes publicitaires
des medias occidentaux. C’est cette réduction mécaniste de ‘’l’humain’’ qu’il
faut dépasser et déconstruire par une radicale critique philosophique et
théologique de la mondialisation technologique et consumériste. Pour lutter
contre cette volonté de totalisation positiviste, scientiste, technologique,
économique unidimensionnelle de l’existence humaine, un appel de l’apôtre Paul
nous emble crucial pour les Africains : ne vous conformez
pas, soyez renouvelés. Non sans raison ainsi souligne l’auteur : la
fracture épistémologique et morale entre le monde techno-scientifique et le
monde de la vie quotidienne et sociale exige une mobilisation des esprits et de
intelligences pour mettre sur pied les conditions épistémologiques et
politiques d’un dialogue interreligieux et interculturel entre toutes les
traditions culturelles et religieuses de l’humanité, en évitant de tomber dans
le piège néolibéral d’une uniformisation de la culture mondiale sous l’égide de
l’occidentalisation techno-scientifique et athée qui sous-tend la
mondialisation économique.
L’ampleur et l’acuité de la crise négro-africaine
postcoloniale requiert de la part des Eglises africaines une réaction
permanente de leur mémoire prophétique et théologique, pour ainsi devenir des
agents et des lieux de la libération et de la guérison holistique pour des
millions d’Africains qui n’ont plus aucune raison de vivre et d’espérer dans
une conjoncture mondiale désastreuse et fatale pour les sociétés économiquement
et politiquement fragilisées et désorganisées d’Afrique postcoloniale. Ainsi
pour l’instauration d’une culture théologique et politique
d’auto-responsabilisation et d’auto-libération de toutes les formes d’esclavage
visible et invisible, l’auteur propose une méditation individuelle et
ecclésiale de la vie et de l’œuvre prophétique et politique des quelques
grandes figures charismatiques négro-africaines. C’est là que le philosophe
nous présente des noms aussi éminents de la théologie africaine comme Mgr
Christophe Munzihirwa, le père Engelbert Mveng (à qui est dédié l’ouvrage pour
avoir jusqu’au grand sacrifice de la vie œuvrer pour la libération holistique
de la vie), Mgr Emmanuel Kataliko, le cardinal Christian Tumi, le
cardinal Gabriel Zubeir Waco. Tous ont chacun en sa manière dit « NON »,
continuent à dire « NON »(ceux encore vivants) aux dictatures sanguinaires.
Face à une prolifération massive des Eglises dites de
réveil dans nos sociétés, la préoccupation centrale dans la dernière
section de ce chapitre est pour l’auteur d’aborder la question de
l’accroissement inquiétant des départs massifs des catholiques africains qui
vont dans des Eglises de réveil. Le grand défi dont parle l’auteur, ce sont ces
départs. Pour y parer, il trouve que les Eglises catholiques et protestantes
sont appelées et interpellées à réactiver et à actualiser publiquement la
puissance contestataire, critique, subversive et libératrice de la confession
publique de Dieu crucifié et ressuscité à travers les souffrances, les
joies et les espoirs des Eglises chrétiennes de l’Afrique postcoloniale.
Tout au long de cette présentation panoramique des
théologiens négro-africains anglophones, l’auteur a voulu monter que
Jésus-Christ crucifié, et ressuscité, qui continue à agir par son Esprit saint
est un allié de taille pour aider les Africains à se libérer définitivement de
tous les systèmes esclavagistes, colonialistes et tyranniques qui rendent leur
vie dans le monde sans saveur, sans teneur et sans valeur.
Je ne peux ne pas me permettre de terminer cette
recension sans formuler ma profonde conviction : on ne se libère que
pour vivre digne et fier avec les autres dans une relation de bonheur partagé
aujourd’hui, demain et à jamais. Depuis le jour où j’ai lu le livre que
le sage malien Amadou Hampâte Bâ[2]
a consacré à la vie et à l’enseignement de Tierno Bokar, je garde toujours en
esprit la prière de ce religieux africain : je souhaite de tout mon
cœur la venue de l’ère de la réconciliation entre toutes les confessions de la
terre, l’ère où ces confessions unies s’appuieront les unes sur les autres pour
former une voûte morale et
spirituelle, l’ère où elles reposeront en Dieu par trois points d’appui :
Amour-Charité-Fraternité. Ceci vaut pour l’avenir de l’humanité.
Goma, le 08/02/2017
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