mardi 14 février 2017

Recension du livre de Benoit AWAZI MBAMBI KUNGUA, Panorama des théologies négro-africaines anglophones, Paris, l’Harmattan, 2008, 283 pages. ISBN : 978-2-296-06056-2, 27,50 €,






Recension
Benoit AWAZI MBAMBI KUNGUA, Panorama des théologies négro-africaines anglophones, Paris, l’Harmattan, 2008, 283 pages. ISBN : 978-2-296-06056-2, 27,50 €

Par Innocent Mpoze (innocent.gas@gmail.com)

Il y a quelques mois, j’ai lu une réflexion de Gilbert Delanoue, un prêtre de la communauté ‘’Mission de France’’ qui passe aujourd’hui le moment de sa retraite à Havre. Après d’intenses années de service dans le sacerdoce comme curé des paroisses, il a trouvé utile de livrer au public un cahier riche en pensée au titre de : ‘’Les questions de ma foi et quelques réponses’’, où il poursuit deux objectifs : faire le point sur la façon dont il partage la foi de l’Église et faire connaître aux croyants ou incroyants, les questions qu’il se pose et comment il y répond pour susciter des échanges fraternels.
De cette lecture remonte ma ferme et ardue décision de consacrer mon temps aujourd’hui à la lecture des théologiens africains pour puiser dans leur verbe quelques lumières à même d’éclairer mes interrogations sur le christianisme pour éviter tout subjectivisme qui inconsciemment et/ou consciemment, a caractérisé le jeune enfant de la catéchèse devenu après catéchiste, le servant des messes et le jeune vocationnel que j’étais depuis ma tendre enfance. Ainsi sur ma route de lectures, un livre a retenu mon attention, c’est le Panorama des théologies négro-africaines anglophones. Son auteur est le philosophe, théologien et sociologue congolais Benoît AWAZI MBAMBI KANGU. Aujourd’hui président du CERCLECAD (Ottawa, Canada), il est écrivain et auteur de plusieurs publications. Ses recherches  pluridimensionnelles articulent judicieusement les ressources de la théologie, de la philosophie et des sciences sociales et politiques dans la recherche des stratégies efficaces de « sortie » de la crise protéiforme qui paralyse et bloque les sociétés noires contemporaines (Panorama des théologies négro-africaines anglophones, verso page de couverture).
Citant d’entrée de jeu les déclarations de Joseph Ratzinger (reconnu par le nom de Benoît XVI comme pape depuis Avril 2005), au sujet du ‘’caractère prétendument programmatique’’ de la théologie africaine, l’auteur montre en quoi l’heure n’est plus de nos jours sur les polémiques de la question de l’existence ou de la non-existence d’une théologie chrétienne en Afrique, mais bien d’exposer systématiquement et théologiquement les nouvelles modalités proprement africaines d’être disciple de Jésus-Christ dans le monde d’aujourd’hui. L’intérêt étant de procéder à une lecture de l’intérieur du paysage religieux africain postcolonial pour voir les métamorphoses théologiques et les nouvelles modalités politiques, sociales et culturelles qui apparaissent dans le christianisme africain postcolonial, pousse l’auteur à dérouler la thèse qu’il trouve heuristique et herméneutique :  « le christianisme occidental et missionnaire implanté en Afrique durant l’entreprise de colonisation militaire, politique et culturelle ne deviendra effectivement et authentiquement négro-africain que si et seulement si, les chrétiens africains posent des actes de liberté théologique et herméneutique en se réappropriant les ressources mystiques, théologiques, métaphysiques et politiques de la foi chrétienne pour un travail interprétatif long, patient et exigeant. » Ainsi commence ce long voyage littéraire consacré aux théologiens de l’aire anglophone de l’Afrique. Subdivisé en deux chapitres, l’ouvrage repose sur trois principaux lieux que sont l’Afrique subsaharienne, l’Afrique du sud et les États-Unis d’Amérique.  Il est de l’intérêt des Africains de découvrir la forêt que cache l’arbre de ce livre.
Non pour détruire comme la ville de Goma l’a connu l’année 2002, le volcan de ce livre vomit dans son premier chapitre la lave des principaux courants de la théologie négro-africaine anglophone.
Dans une relecture de l’œuvre du théologien spiritain nigérian, Eugen Uzukwu, le titre prend l’axe des liturgies chrétiennes inculturées en Afrique. La personne du cardinal congolais (RDC) Joseph Albert MALULA dans ses mérites épouse la préoccupation centrale du théologien nigérian qu’est l’urgence de promouvoir sur le plan panafricain des célébrations eucharistiques inculturées et vivantes qui puissent être des lieux de vie, d’espérance et de renaissance, où les chrétiens africains puisent au plus profond de leurs ressources culturelles, anthropologiques et religieuses pour vivre dans la joie et l’action de grâce le Mystère de la résurrection de Jésus-Christ. Un appel impératif à l’endroit des autorités religieuses africaines qui usent abusivement de leur pouvoir sans se rendre compte des conséquences désastreuses découlant de leur pouvoir autoritaire (qui est le même pour les politiques). La première conséquence néfaste pour l’Afrique est l’exode des jeunes Africains vers l’eldorado européen et nord-américain, pour tenter d’échapper à la misère chronique, intellectuelle et morale qui caractérise les sociétés africaines postcoloniales. Cet appel est celui-ci, de notre avis : œuvrer pour s’insurger contre la non-humanité des Africains. Face aux tragédies humaines (génocides, guerres civiles, refugiés, dictatures militaires, malaria, Sida), souligne l’auteur, il est de la responsabilité des théologiens et chrétiens d’agir collectivement pour la reconstruction des sociétés démocratiques et pacifiques en Afrique postcoloniale. C’est à cela que doit se concentrer et se focaliser la pastorale sociale des Eglises africaines dans un monde, où les plus forts et les plus riches mangent les plus faibles et les plus pauvres sans aucune vergogne. C’est aussi du rôle de l’Eglise de lutter contre la violence politique, les discriminations raciales, les identités coloniales qui fragilisent les sociétés africaines contemporaines, les dictatures, les oppressions, les catastrophes naturelles qui menacent le monde aujourd’hui. 
Le deuxième axe du discernement théologique du monde des esprits ressort des grandes figures africaines comme messeigneurs Patrick Achille KALILOMBE et Emmanuel MILINGO. Pour le premier, il est impossible et insensé de réfléchir sur la théologie des religions africaines sans accorder une place primordiale et déterminante à la question redoutable du monde invisible des esprits, des ancêtres et du Dieu créateur de la totalité du réel visible et invisible. Ainsi dans son étude « Spirituality in the African perspective » il montre la place prépondérante et matricielle de la spiritualité et du monde de l’invisible dans les récits archéologiques, sotériologiques, thérapeutiques et eschatologiques des Africains. De Milingo, il faut retenir pour son travail d’exorcisme qui lui a coûté divers reproches, remarques et humiliations depuis le Saint-Siège, la radiation thérapeutique (processus de transmission directe de l’énergie divine à un malade par l’intermédiaire d’un prophète mandaté et envoyé par Dieu). J’aurais voulu que l’auteur exprime sa révérence à un autre religieux et philosophe de proue de la RDC dans sa vision de la spiritualité, il s’agit de Tshiamalenga Ntumba. Contre le substantialisme, le dualisme, l’anthropomorphisme, le personnalisme, le créationnisme, ce penseur congolais nous invite à l’étonnement, l’émerveillement, l’évènementiel de chaque instant dans le cosmique, dans le vivant, dans l’humain et dans l’imaginaire, etc., et qui serait le centre de la rencontre du divin, du cosmique et de l’humain.[1]   
L’irruption du troisième axe traite de l’herméneutique négro-africaine de la Bible. John MBITI (théologien du Kenya) fait apparaître dans son œuvre de facture philosophique et théologique, les similitudes culturelles et spirituelles entre les cultures négro-africaines et la culture hébraïque. Bien qu’il ait plus d’un aspect manifeste des relations étroites entre les cultures africaines et la culture hébraïque, l’oralité nous frappe d’emblée dans ce passage. Jésus lui-même, pense l’auteur, ne nous a pas laissé des textes écrits bien qu’il sût écrire. Ainsi l’auteur se demande si la crise spirituelle et axiologique du christianisme occidental n’est pas d’abord et en priorité une crise de la mémoire causée par l’absence de structures orales, familiales et communautaires de transmission de la foi chrétienne et de la culture biblique dans une Europe industrialisée et soumise à la dictature sournoise de la rationalité instrumentale, matérialiste, positiviste et athée.  Si la communauté ecclésiale n’a de sens et de cohésion qu’autour de l’adhésion de chaque chrétien au mystère pascal du Seigneur crucifié et ressuscité et que la communauté des hébreux n’avait raison d’être ultime que dans la fidélité à l’alliance au Sinaï entre Dieu et les ancêtres qui sont sortis d’Egypte alors, conclue l’auteur, nous pouvons affirmer fermement que la foi chrétienne ne peut pas se comprendre correctement dans une culture  technoscientifique et numérisée qui occulte le caractère structurant et matriciel de la communauté vivante des humains à tous les niveaux de la vie quotidienne.
L’axe des christologies négro-africaines inculturées prouve combien en Afrique le Christ est adoré et célébré comme le Fils de Dieu, le Grand Guérisseur et le Grand Vainqueur des forces du mal et de la mort. Ceci traverse aussi bien l’œuvre de Justin UKPONG (une invite aux chrétiens de confesser le Christ comme le Fils unique de Dieu et Sauveur du monde), le tanzanien Charles NYAMITI (son œuvre théologique s’oriente vers la recherche des voies africaines pour une compréhension approfondie et inculturée  du Royaume de Dieu annoncé par Jésus-Christ) qui exhorte les théologiens africains à s’impliquer dans l’étude d’autres traditions et écoles théologiques qui constituent le patrimoine dogmatique et kérygmatique de toute l’Eglise universelle, Bénezet BUJO (dès lors que Jésus en tant que vainqueur devient « proto-ancêtre » dans la puissance divine de l’amour qui transcende et surmonte tous les obstacles qui empêchent l’épanouissement plénier de la vie qui vient de Dieu, le théologien congolais-RDC propose un modèle démocratique de l’Eglise en Afrique, où les laïcs sont consultés, impliqués et respectés par les prêtres et les religieux qui n’ont ni le monopole du pouvoir ni celui de la science).
L’axe des théologiens de l’Afrique de l’Ouest embrasse l’œuvre d’Emmanuel Martey, de Kwame Bediako, de Kwesi A. Dickson, de John S. Pobee et de Byang Kato.  Du premier nous retenons trois paradigmes (les théologies de reconstruction, les théologies des pentecôtismes et des charismatiques du réveil et les théologies des différentes Eglises afro-chrétiennes ou indépendantes de toute allégeance aux Eglises chrétiennes occidentales et missionnaires) qui constituent bien qu’encore à l’état embryonnaire, des nouvelles initiatives par une même volonté de libération holistique du continent africain qui subit en plein cœur les assauts virulents et intempestifs de la mondialisation néolibérale et des idéologies athées, matérialistes, nihilistes et consuméristes qui la sous-tendent. C’est ce même désir qui traverse de part en part l’engagement de Kwame Bediako, Kwesi A. Dickson, John S. Pobee et Byang Kato. Pour cela pense le professeur Kwesi A. Dickson, il faut en Afrique une formation solide et universitaire des théologiens, des séminaristes, des pasteurs et des chrétiens pour qu’ils soient à même de faire la théologie africaine en se conformant aux exigences académiques et épistémologiques de la communauté scientifique internationale.  Nous pensons de notre part que cette conformation se doit être libératrice et émancipatrice pour les Africains, sinon elle n’a aucun sens. S’il faut se conformer, c’est exclusivement pour éviter le déphasage, ni plus ni moins.
La partie consacrée aux théologiens de l’Afrique du Centre et de l’Est présente le camerounais Victor Wan-Tatah, J. G Healey, Donald F. Sybertz, Laurenti Magesa, la théologie négro-africaine de la reconstruction (une émanation théologique de la CETA ou AAC, Gwinyai Muzorewa.  Depuis les luttes théologiques pour une christologie négro-africaine de la libération globale, passant par la théologie africaine narrative, la théologie prophétique africaine de la reconstruction, de la théologie négro-africaine de la reconstruction que pense le CETA jusqu’à la proposition d’une mise en perspective historique de la théologie négro-africaine, ce point débouche sur une évidence qui nous semble incontournable pour l’Afrique : notre appropriation de la foi chrétienne doit être une libération radicale des Africains contre toutes les menaces qu’impose aux pays du tiers du monde la politique de la mondialisation néolibérale.
L’engagement prophétique et théologico-politique de Nelson Mandela introduit le point consacré aux théologies noires de la libération de l’Afrique du Sud. Pour unir les oppresseurs d’un côté et les opprimés de l’autre, Mandela mit sur pied la commission « vérité et réconciliation.» Loin d’être parfaite, cette commission mérite d’être louée pour avoir évité des règlements de compte et des insurrections sanglantes au lendemain de l’effondrement du régime de l’Apartheid. Certes, l’Apartheid en Afrique du Sud a suscité plus d’une réaction théologique pour la lutte contre les discriminations raciales, les principaux théologiens cités par le professeur Benoît Awazi dans son ouvrage sont entre-autres : Simon MAIMELA, Desmond TUTU, Allan BOESAK, Albert Nolan, Itumeleng J. Mosala pour sa théologie prophétique et révolutionnaire. Face aux destructions morales, humaines et spirituelles causées par des siècles d’Apartheid et d’exploitation raciale et économique de la majorité noire par les autorités politiques et religieuses blanches, l’auteur montre en quoi la recherche d’Albert Nolan fouille les sources spirituelles et internes de l’Evangile à même de donner des solutions émancipatrices et radicales pour la construction d’une nouvelle Afrique du Sud. Et Mosala pense que la bible lue de façon dynamique, prophétique et révolutionnaire par les églises noires, constitue un outil puissant de libération des pauvres et des exploités partout dans le monde et plus précisément les millions des victimes de l’Apartheid en Afrique du Sud. Dans une lutte, il est évident que l’envie de renaître doit guider les luttes théologiques. S’il faut bien voir les désastres de l’Apartheid, la lutte des pareilles théologies devrait ambitionner de naître dans l’avenir pour l’ensemble de la communauté Sud-Africaine. Pour l’Afrique, aujourd’hui ses luttes de la renaissance devraient s’inspirer de cette bataille qu’a connue l’Afrique du Sud.
Les huitième et neuvième section du premier chapitre aborde les points relatifs aux luttes théologiques noires aux États-Unis d’Amérique. D’abord les théologies noires de la libération, ensuite les débats intellectuels et politiques autour de l’afrocentrisme. De James H. CONE, en s’appuyant sur la personne vivante et agissante de Jésus que les Noirs doivent chercher à conquérir leur humanité et leur liberté ; passant par Albert B. CLEAGE pour qui la tâche prioritaire de la christologie noire de la libération consiste à confesser et à adorer le Christ comme un leader qui combat aux côtés des Noirs pour leur libération complète et définitive des siècles d’esclavage et de domination des Blancs dans leur vie, ce point débouche sur une critique radicale de la théologie raciste et européocentrique : les voies de l’humanisme noir américain de William R. Jones. La tâche principale est ici la lutte contre le dieu raciste, colonisateur, discriminateur et diviseur. Il en est de même pour les débats instinctuels et politiques autour de l’afrocentrisme qui ont comme principal objectif, selon les mots de l’auteur, à faire des valeurs culturelles et religieuses négro-africaines l’unique centre de gravité pour tous les Noirs désirant se réapproprier leur être ou leur âme après les siècles d’aliénation intellectuelle, culturelle et religieuse par les puissances impérialistes occidentales.
Si de l’axe de la théologie féministe avec Mercy Amba ODUYOYE se pose les questions que rencontrent les femmes de la culture africaine dans leur vie de la foi en tant que disciples à part entière du Christ dans les sociétés africaines, la question qu’elle soulève vaut son importance pour l’émancipation de la femme dans nos sociétés : quelles sont les transformations et les conversions que les cultures africaines doivent-elles subir en rencontrant Jésus-Christ et son message révolutionnaire de la libération de tous les hommes sans aucune discrimination (âge, sexe, condition intellectuelle, économique, sociale) des esclavages et des servitudes de toutes sortes ? La condition marginale de femmes dans nos églises exigent d’elles un investissement ferme dans des études bibliques comme théologiques.
Pour couronner ce chapitre, l’axe du partenariat entre la théologie négro-africaine anglophone et l’Association œcuménique des théologies du Tiers-Monde (EATWOT ou AOTTM) part de l’année de création de l’organisation œcuménique des théologiens du Tiers-Monde (1976 à Dar-es-Salam) avec pour ambition une « rupture épistémologique » radicale opérée par les théologiens du tiers-monde par rapport aux systèmes théologiques et philosophiques des théologies européennes et nord-américaines. La visée est ici la libération politique et le développement économique. Bien que les théologies du tiers-monde puissent articuler leur théorie et pratique dans une praxis théologique libératrice et holistique, il faut noter que la différence se trouve au niveau du contexte dans lequel se trouve telle ou telle autre aire de vie. Certaines peuvent prendre une orientation pour relever des défis d’ordre culturel, d’autres encore d’ordre politique, d’autres d’ordre économico-politique selon les besoins et les urgences du milieu.  
Après ce long chapitre, l’auteur se tourne vers l’ordre du moment et inscrit les théologies négro-africaines de la libération dans le contexte de la mondialisation néolibérale. Aujourd’hui, pour une conversion des logiques d’exclusion qui sous-tendent l’ordre néolibéral, des voix grondent de partout dans le monde. Dans ce concert, les cris de théologiens ne sont pas restés sous silence. La réflexion de ce deuxième chapitre comme le soutient l’auteur, veut montrer et mettre en évidence les potentialités (possibilités) théologiques, spirituelles et politiques existant dans les Eglises afro-chrétiennes du réveil qui prolifèrent aussi bien en Afrique que dans les diasporas noires d’Europe et d’Amérique du Nord. Dans la mesure où une pareille appréciation conduisant à voir l’acte de fondation de ces Eglises  constitue une alternative théologique à la morosité et à la torpeur qui caractérisent les Eglises catholiques et protestantes d’institution coloniale qui reproduisent servilement les structures institutionnelles, théologiques et idéologiques eurocentriques et incapables de libérer les Africains des siècles d’esclavage culturel, mental, politique et économique, quatre sections constituent le gros de ce chapitre : une critique sociologique et épistémologique de la mondialisation néolibérale, une critique philosophico-théologique de la mondialisation technologique, une interpellation des quelques grandes figures prophétiques et charismatiques du christianisme africain postcolonial et la signification théologico-politique des nouvelles Eglises chrétiennes d’expression africaine qui émergent aussi bien en Afrique que dans les diasporas européennes et nord-américaines.
La présentation du danger de colonisation et de domestication des esprits, des mentalités et des intelligences par les nouvelles idéologies mécanistes, nihilistes et consuméristes qui sont abondamment et subtilement diffusées par les grandes firmes industrielles qui contrôlent les medias audio-visuels, les journaux et les maisons d’édition pour des ouvrages de vulgarisation et d’incitation à la consommation pour les masses, constitue la charnière de la première section. Après avoir brossé les maux de la mondialisation néolibérale, le professeur congolais pense aux mouvements sociaux qui travaillent pour des alternatives culturelles, religieuses, politiques et économiques en les invitant à donner aux individus des moyens intellectuels et pratiques pour se libérer eux-mêmes de la nouvelle dictature totalitaire du marché mondial .          
Pour la deuxième section, il montre combien de la mondialisation technologique résulte une misère anthropologique et religieuse énorme, car l’homme est réduit de façon unilatérale à un statut d’automate prêt à consommer les produits et services proposés par les propagandes publicitaires des medias occidentaux. C’est cette réduction mécaniste de ‘’l’humain’’ qu’il faut dépasser et déconstruire par une radicale critique philosophique et théologique de la mondialisation technologique et consumériste. Pour lutter contre cette volonté de totalisation positiviste, scientiste, technologique, économique unidimensionnelle de l’existence humaine, un appel de l’apôtre Paul nous emble crucial pour les Africains :   ne vous conformez pas, soyez renouvelés. Non sans raison ainsi souligne l’auteur : la fracture épistémologique et morale entre le monde techno-scientifique et le monde de la vie quotidienne et sociale exige une mobilisation des esprits et de intelligences pour mettre sur pied les conditions épistémologiques et politiques d’un dialogue interreligieux et interculturel entre toutes les traditions culturelles et religieuses de l’humanité, en évitant de tomber dans le piège néolibéral d’une uniformisation de la culture mondiale sous l’égide de l’occidentalisation  techno-scientifique et athée qui sous-tend la mondialisation économique.
L’ampleur et l’acuité de la crise négro-africaine postcoloniale requiert de la part des Eglises africaines une réaction permanente de leur mémoire prophétique et théologique, pour ainsi devenir des agents et des lieux de la libération et de la guérison holistique pour des millions d’Africains qui n’ont plus aucune raison de vivre et d’espérer dans une conjoncture mondiale désastreuse et fatale pour les sociétés économiquement et politiquement fragilisées et désorganisées d’Afrique postcoloniale. Ainsi pour l’instauration d’une culture théologique et politique d’auto-responsabilisation et d’auto-libération de toutes les formes d’esclavage visible et invisible, l’auteur propose une méditation individuelle et ecclésiale de la vie et de l’œuvre prophétique et politique des quelques grandes figures charismatiques négro-africaines. C’est là que le philosophe nous présente des noms aussi éminents de la théologie africaine comme Mgr Christophe Munzihirwa, le père Engelbert Mveng (à qui est dédié l’ouvrage pour avoir jusqu’au grand sacrifice de la vie œuvrer pour la libération holistique de la vie),  Mgr Emmanuel Kataliko, le cardinal Christian Tumi, le cardinal Gabriel Zubeir Waco. Tous ont chacun en sa manière dit « NON », continuent à dire « NON »(ceux encore vivants) aux dictatures sanguinaires.
Face à une prolifération massive des Eglises dites de réveil dans nos sociétés, la préoccupation centrale dans  la dernière section de ce chapitre est pour l’auteur d’aborder la question de l’accroissement inquiétant des départs massifs des catholiques africains qui vont dans des Eglises de réveil. Le grand défi dont parle l’auteur, ce sont ces départs. Pour y parer, il trouve que les Eglises catholiques et protestantes sont appelées et interpellées à réactiver et à actualiser publiquement la puissance contestataire, critique, subversive et libératrice de la confession publique de Dieu crucifié et ressuscité à travers les souffrances, les joies et les espoirs des Eglises chrétiennes de l’Afrique  postcoloniale.
Tout au long de cette présentation panoramique des théologiens négro-africains anglophones, l’auteur a voulu monter que Jésus-Christ crucifié, et ressuscité, qui continue à agir par son Esprit saint est un allié de taille pour aider les Africains à se libérer définitivement de tous les systèmes esclavagistes, colonialistes et tyranniques qui rendent leur vie dans le monde sans saveur, sans teneur et sans valeur.
Je ne peux ne pas me permettre de terminer cette recension sans formuler ma profonde conviction : on ne se libère que pour vivre digne et fier avec les autres dans une relation de bonheur partagé aujourd’hui, demain et à jamais. Depuis le jour où j’ai lu le livre que le sage malien Amadou Hampâte Bâ[2] a consacré à la vie et à l’enseignement de Tierno Bokar, je garde toujours en esprit la prière de ce religieux africain : je souhaite de tout mon cœur la venue de l’ère de la réconciliation entre toutes les confessions de la terre, l’ère où ces confessions unies s’appuieront les unes sur les autres pour former une voûte morale et spirituelle, l’ère où elles reposeront en Dieu par trois points d’appui : Amour-Charité-Fraternité. Ceci vaut pour l’avenir de l’humanité.
                             
                                                                                          Goma, le 08/02/2017 




[1] Kä Mana, Réinventer Nkrumah in pensée d’Africains pour africains-émission de la radio pole Fm, une présentation de Innocent Mpoze (lundi 06/02/2017).

[2] Amadou Hampâte Bâ, Vie et enseignement de Tierno Bokar. Le sage de Bandiangara, Pars, Seuil, 1980.