mardi 11 juillet 2017

Innocent MPOZE: Recension du livre de Kä Mana et Solange Gasanganirwa (Dir), Les vrais enjeux de la renaissance africaine. Pour les générations montantes, Goma, Pole Institute, 2017, 373 pages.

Recension
Kä Mana et Solange Gasanganirwa (Dir), Les vrais enjeux de la renaissance africaine. Pour les générations montantes, Goma, Pole Institute, 2017, 373 pages.
Par Innocent Mpoze
Cette publication consacrée aux enjeux de la renaissance africaine vise la construction d’une Afrique nouvelle. Venus de différents horizons africains, ses auteurs tentent d’apporter un éclair, chacun en ce qui le concerne, sur ce qu’il juge nécessaire pour que l’Afrique émerge entant que sujet de sa propre histoire dans le monde. Ce qui frappe d’emblée, ce sont les deux matrices autour desquels gravite le cercle gnoséologique de l’ensemble des textes de l’ouvrage. La matrice de l’analyse des crises de notre continent ouvre à une compréhension des réalités qui sont les nôtres, dans leur dynamique de fonctionnement. La matrice de changement des imaginaires propose des alternatives émancipatrices pour une libération effective de l’Afrique par les africains eux-mêmes. Dans sa visée pluridisciplinaire, ce livre se veut un remède pour guérir l’Afrique de ses pathologies politiques, économiques et culturelles.
D’entrée de jeu, le rôle de la maîtrise du savoir (matière grise) pour la renaissance africaine trouve ici place dans deux mythes, celui d’Inakalé et du Roi décapité. Pour la construction de son avenir, l’Afrique à renaître se doit de miser sur la formation des générations montantes en investissant dans leur  capital humain, par une éducation qui les imposerait dans l’histoire de l’humanité et qui les ouvrirait à un géni heuristique pour la construction d’une société africaine harmonieusement humaine. C’est dans cette lancée que s’ouvre une relecture de la pensée africaine par quelques-unes de ses grandes voix, aujourd’hui disparues : Cheik Amidou Kané, Joseph Ki-Zerbo, Cheik Anta Diop et Kwame Nkrumah. L’école africaine, à la lumière de Cheik Amidou Kané, devrait être pour les jeunes un espace où s’apprend comment se vaincre soi-même pour avoir raison avec les autres, dans un nouvel être-ensemble mondial du bonheur partagé. De Joseph Ki-Zerbo, il faut garder comme héritage « la force de la conscience historique africaine ». Un peuple, c’est le récit structurant de son être au monde et sa victoire sur les forces du mal est la résultante de l’unicité et de l’historicité qu’il assume contre vents et marées fragilisants. Il convient alors dans la lutte de la renaissance africaine aujourd’hui de resituer et de réinscrire l’Afrique dans ses sources et dans ses trajectoires temporelles à partir du point de vue de la vérité scientifique souvent occultée par la perspective coloniale. Il en est de même pour Cheik Anta Diop et Kwame Nkrumah. L’héritage de ces penseurs rejoint la nouvelle renaissance africaine qui devrait se penser à partir d’une conscience historique, d’une conscience métaphysique et d’une conscience scientifique dans une dynamique de régrédience, de résilience, de reliance et d’innovance, loin des visions de renaissance africaine voulues et conçues sans les africains et qui leurs ont été imposés qui, n’ont fait qu’accoucher des souris. C’est dans cette idée de la nouvelle renaissance qu’une nouvelle Afrique naîtra, l’Afrique capable, celle qui tient débout et qui marche digne et fier pour se penser en contient de destinée.
Ainsi finie, la première partie (orientations de base) trouve sa suite dans la deuxième qui aborde la question des enjeux de fond de la renaissance africaine. Kabongo Malu y présente la situation de l’Afrique dans l’ordre mondial actuel. La matrice d’analyse inscrit le continent africain dans l’ordre totalitaire marchand des grand-messes qui l’enfoncent dans l’asservissement. Il s’agit entre autres de la question d’aide au développement et des dettes ; l’arme juridique avec des institutions comme l’Organisation Mondiale du Commerce, la Cours Pénale Internationale ; la violence symbolique, les guerres et la famine. Il aurait été aussi intéressant que l’auteur pointe avec acuité les politiques d’exclusion qui gouvernent l’Afrique. A ce titre on rejoindrait sa visée prospective qui voit dans la construction des Etats-Unis d’Afrique, la seule issue, comme dirait Théophile Obenga, pour que l’Afrique renaisse ici et maintenant. Cette Afrique devait se définir dans une approche holistique du développement et de la vie que Jean-Blaise Kenmogne appelle « éthique des liens ». Le fait de placer la question des liens au centre de la préoccupation pour changer la situation de l’Afrique impose à la renaissance africaine une double exigence : l’exigence de responsabilité pour la sauvegarde de la maison commune dont parle le pape François et l’exigence de la construction des valeurs d’humanité.  L’homme n’est pas un spectateur dans l’univers mais y est un acteur appelé à le rendre plus beau et vivable pour toute l’espèce humaine, animale et végétale. Cette double exigence rendra alors les africains sensibles aux destructions massives qui sévissent le monde et pour qu’ils s’inscrivent dans une philosophie où la vie dépasse l’individuel pour embrasser le communautaire.
La troisième partie, loin de nous enfermer dans un pessimisme marquant, s’intéresse à quelques défis auxquels l’Afrique fait face et vise à nous pousser dans une réflexion critique de notre situation actuelle nous africains et africaines d’aujourd’hui pour que puissent émerger de nos luttes, des orientations pour réussir l’Afrique. Nestor Salumu élève la voix pour fustiger le totalitarisme et la kleptomanie qui gouvernent en Afrique. Comme la crise de la démocratie en Afrique est avant tout une crise de rationalité, une crise éthique de sens de responsabilité communautaire, il pense qu’il faut chercher à surmonter le fossé existant entre la fondation rationnelle de la démocratie et son application pratique. D’où le rôle auquel il convie le philosophe africain, à la suite de Karl Marx, de dépasser l’étape d’interprétation du monde pour celle de sa transformation. L’orientation s’enracine ici dans une visée de construction d’une culture démocratique africaine à partir des valeurs de la vision africaine du monde. Dans cette lutte de promotion d’une éthique africaine de la rationalité, du dialogue et de la responsabilité, on comprendra alors pour quoi il faut une gestion juste et rationnelle des ressources allouées à la lutte contre le sida, selon que le souligne Samuel Wafo dans son texte « L’argent du sida en Afrique. Quand le VIH fait perdre beaucoup de sous. » Sur la même lancée, Laurent Muhima Sebisogo propose une vision économique sociale et solidaire pour un imaginaire économique du développement en Afrique. Pour lui, l’économie sociale apparaît comme un outil qui permettrait aux populations de se prendre en charge sur les plans économique, social et culturel, et de participer à la construction politique de leurs nations. C’est sa manière de joindre sa voix au timbre du courant altermondialiste qui milite vigoureusement, aujourd’hui, pour une économie du bonheur partagé visant la construction d’une société heureuse, pour parodier le professeur Kä Mana. S’il on admet que la construction d’une société heureuse soit une préoccupation communautaire, on intègrera ainsi la question de la stabilisation que veulent les femmes et les jeunes, tel que présenté par Prosper Hamuli Birali. Le résultat de son travail de terrain rejoint la notion de construction d’une société d’en-commun. S’inscrivant en faux contre les coutumes rétrogradés et les comportements destructeurs qui constituent le fondement de la violence faite aux femmes, Solange Gasanganirwa revient sur la place et le rôle incontournable de la femme dans la société et suggère son intégration effective car, ensemble tout est possible. Analysant toujours cette violence faite aux femmes, dans un contexte de domination patriarcale ;  André Yiga se consacre avec une équipe de sociologues à analyser l’impact psychosociologique sur les femmes, des rites de veuvage. Le ton est alarmant, les pratiques de dot et de mariage que subissent les femmes de l’Ouest du Cameroun ne sont qu’une pire déshumanisation. C’est aussi contre ces pratiques qui réduisent et/ou refusent la dignité à la femme que l’Afrique doit renaître. Sur un autre ton, Béatrice Faye pense la renaissance dans une relation eau-femme-vie. Le fait que la femme, souciée de la vie et survie de sa famille, se met à la recherche de l’eau dans une aire désertique devait éclairer les luttes de la renaissance africaine. Ainsi renaître, à la lumière de la relation eau-femme-vie, veut dire militer pour assurer le minimum vital à tout l’homme et tous les hommes.
Consacré aux enjeux de la renaissance africaine, ce livre nous paraît une invite pour rendre les générations montantes africaines sensibles aux exigences de la définition de leur être au monde. Dans un contexte de crise néolibérale, il est important que toutes les forces vives africaines se mettent  ensemble pour assoir des bases qui pensent l’avenir loin de la crise protéiforme et multidimensionnelle qui paralyse les sociétés africaines, comme dirait le professeur Benoît Awazi. Il ne s’agit pas seulement de sortir de la crise, il s’agit aussi  à l’Afrique d’ouvrir à l’humanité toute entière les voies d’humanité dans une appropriation de ses valeurs de « Bumuntu ». La renaissance africaine est ainsi la redécouverte de cette humanité de l’homme et son ouverture à toute l’humanité, pour que l’homme ait la vie et qu’il l’ait en abondance.          


mardi 20 juin 2017

Photos de la conférence du prof Benoît Awazi lors de son passage à Goma


























Lors de son passage à Goma, le professeur Benoît  Awazi a tenu une si brillante conférence sur « La bibliocratie, la bibliophagie et bibliothérapie. Pour une épistémologie prophétique », à laquelle plusieurs universitaires (professeurs, chefs des travaux, assistants, chercheurs et étudiants) ont participée. Dans sa posture de professeur, conférencier de talent et d'éminent écrivain, le professeur Benoît Awazi a invité les participants à prendre dans la lutte pour la libération effective, lutte dans laquelle il s'est investi et poursuit avec brio dans le CERCLECAD, un centre de recherche qu'il dirige et qui produit une pensée d'une grande envergure dans le monde d'aujourd'hui. 
En souvenir de ce grand jour, nous paratgeons ces images.

samedi 17 juin 2017

Editorial (Revue alternative, 01)


Editorial
La présente revue alternative se doit, selon que le veut son idée conceptrice, d’être une proposition d’idées pour réfléchir et un accouchement des orientations pour agir. Se voulant aussi pluridimensionnelle, elle renferme dans ce premier numéro nombre d’articles sur l’être-ensemble, la cohésion sociale, l’éducation et le leadership.
Dans une visée prospective, Innocent Mpoze tente de réfléchir sur des modalités pour une déconstruction éthique et politique des pathologies ethno-tribales dans notre pays, par les jeunes. Partant d’une observation spontanée et documentaire, je propose la citoyenneté consciencieuse et visionnaire, la citoyenneté mobilisatrice et libératrice, et la citoyenneté active et constructrice dans une lutte d’ensemble pour un avenir de réussite communautaire.
De son côté, Nicolas Mumberê Sivihwa, pense à un leadership de cohésion sociale dans les Grands-lacs africains. Dans son argumentaire, il pose ce qu’il estime être des orientations pour la naissance et l’émergence des leaders à même de faire face aux défis qui jonchent la région. Il faut les forger, les équiper pour une politique et une économique de cohésion sociale dans les Grands-Lacs, soutient-il.
Pour Arsène Ntamusige, l’heure est à l’urgence de passer de l’université décadence vers l’université promotion des valeurs sociales. Pour ce faire, il pense à la responsabilisation des jeunes, à leur déconnexion pour qu’ils se délient des vices qui les rendent inféconds et à la régénération pour un renouvellement effectif.
Entre, ses électeurs, ses chefs hiérarchiques ou ses précédents, selon le cas, les différents partenaires et enfin soi-même, Aganze Maheshe Hilaire essaie de répondre à la question : Qui servir ? Son texte prend l’orientation d’une invite aux élus de faire des choix qui soient de l’intérêt communautaire.
Dans l’ordre même de la visée initiale de la revue alternative, Innocent Mpoze livre aussi une recension d’une présentation panoramique des théologies négro-africaines anglophones, un livre du philosophe Benoît Awazi Mbambi Kungua, pour la libération holistique de l’Afrique.
Certes, les textes de ce premier numéro de la revue alternative sont fruit d’un ferme engagement des jeunes pour l’éclosion d’une Afrique qui tient débout et qui compte dans le monde aujourd’hui et pour le reste des siècles. Que celles et ceux qui ont concouru pour sa matérialisation, trouvent ici l’expression de notre estime reconnaissance et considération.
La graine est semée, il ne reste que la féconder et la fructifier. Longue vie à la revue alternative.
Innocent Mpoze

Goma, le 14 Mars 2017

Recension

Recension
Par Innocent MPOZE
Kä Mana, Réimaginer l’éducation de la jeunesse africaine. Idées directrices et orientations fondamentales, Goma-Yaoundé, Pole Institute et AIS éditions, 2013, 161 pages. ISBN : 978-9956-799-03-9

S’il est un livre inaugural de ma route vers le sommet d’ascèse intellectuelle, c’est sans doute Réimaginer l’éducation de la jeunesse africaine. Idées directrices et orientations fondamentales. Son auteur, Kä Mana, est poète, philosophe, théologien et analyste politique. Professeur des universités, il est animateur du programme « Université alternative pour l’éducation à la transformation sociale » à l’Institut interculturel dans la Région des Grands Lacs (Pole Institute).
Se situant dans les cycles du changement que l’Afrique est appelée à opérationnaliser, l’auteur porte son attention sur l’éducation dans cet ouvrage riche en réflexions et invite les générations montantes à créer l’Afrique nouvelle, celle de nos rêves, de nos pensées, de nos luttes. A partir des rêves, le philosophe congolais (RDC) use de sa sorcellerie réflexive pour construire des idées directrices tout en ouvrant les voies à des orientations qu’il juge fondamentales pour l’éducation de la jeunesse africaine, dans une perspective holistique qui embrasse à la fois, la politique, la crise anthropologique, l’écologie, le genre, la culture et la société. Prenons l’audace de savourer les délices qui riment le verbe de ce livre, page après page.  
Dans un chant incandescent, l’auteur loue  le pouvoir fascinant de l’Afrique à travers la ville de Kribi. De cinq pouvoirs s’imposant à toute personne qui visite cette ville camerounaise, existe un pouvoir de tranquillité, dans la communion avec le cosmos en toutes ses forces déchainées, avec les êtres dans toutes les incantations de leurs attraits.  De ce pouvoir  s’impose une rencontre avec quelque chose d’essentiel, comme le soutient l’auteur : mon « moi » comme souci de silence et quête d’une certaine profondeur dans la rencontre avec mes propres abimes, ce mystère des mystères qui couve au fond de chacun, de chacune d’entre nous, les humains, et qui se découvre seulement à certains moments et en certains lieux privilégiés, comme Kribi. C’est là qu’il s’engage à réfléchir sur son devoir à l’égard de la jeunesse africaine. De ce lieu béni, une évidence traverse l’esprit de l’auteur : le vrai problème de l’éducation, c’est de passer de la culture de la conformation au monde à la culture de l’invention d’un autre monde. Ce dont il s’agit, c’est de rompre radicalement d’avec la culture de la conformation au monde pour embrasser celle de l’imagination créatrice. Ici vibre l’urgence d’une éducation des jeunes à l’esprit créatif. Transcendant la sphère de conformation, l’autre appel est celui, si l’on veut changer l’Afrique, de la voir du point de vue positif, du côté de ses forces. Au-delà de penser l’invention, Kä Mana nous convie aussi à repenser le cadre spatial et architectural de nos structures scolaires car, pense-t-il, la beauté est la condition de l’éducation réussi, la pulsation intime de la passion du savoir. Ambitionnant la construction d’une société heureuse, l’éducation en Afrique  se veut être une guerre et avec toutes ses exigences : l’ordre, la discipline et la rigueur.
Le point deux, intitule le vieux penseur et l’éducation, aborde une rencontre avec l’inattendu, sous les beaux cieux, sur une affirmation selon laquelle l’Afrique n’était pas encore entrée dans l’histoire.[1] Bien qu’il soit décidé de ne pas verser dans le discours pro ou contre cette phrase de Sarkozy comme ceci eut un retentissement outré dans le monde de l’intelligentsia africaine, l’auteur se trouve devant un interrogatoire qui l’oblige pourtant d’en discuter encore avec un étranger. L’entretien prend l’élan de la relation Afrique-Occident, qui malheureusement est celle des aveugles qui conduisent d’autres. Dès lors que le problème est l’ordre dans lequel l’Occident conduit le monde, on pourrait chercher à savoir où aller avec quelqu’un qui ne va nulle part. À répondre à cette interrogation, on voit que l’histoire n’est que celle qui commence. Si l’histoire n’est qu’à ses débuts, alors l’Europe comme l’Afrique toutes deux ne sont pas encore entrées dans l’histoire. Elle (l’histoire) s’offre comme ensemble de possibilités fondamentales et comme faisceau d’exigences d’inventions capitales sur lesquelles nous devons avoir les yeux ouverts,  c’est à elle qu’il faut éduquer les générations montantes au lieu de les aveugler dans des conceptions qui pensent l’histoire comme une ligne avec la pointe qu’est l’Occident. L’histoire est le non-encore fait et elle est avenir. Cette histoire est de la lutte pour le sens qu’est l’amour contre le non-sens (la violence) pour la promotion humaine. Dans une société où la violence a pris le dessus sur l’amour, l’histoire à construire exige l’éducation à une société heureuse basée sur l’amour. C’est là le chemin du sens contre le non-sens. Tel est l’engagement pour changer le monde comme aimer c’est lutter contre le mal et créer l’espace du bien.
Dans la splendeur de l’amour et l’éclat de tous les rêves, l’auteur pense qu’éduquer c’est en fait ouvrir l’être à tout son pouvoir profond d’aimer. C’est libérer le profond, le sublime, l’exaltant et fécondant pouvoir de l’amour. C’est faire découvrir à chaque être la force d’aimer qu’il y a en lui.
Le quatrième en plus d’étonner l’auteur, désole sur le fait que sur la liste de 100 meilleures universités africaines, la RDC occupe la 87ème position, encore par l’extension d’une université américaine à Kinshasa. Comment expliquer que la RDC qui eut la première université du continent n’est plus à mesure de placer même un de ses établissements sur la liste des institutions répondant aux normes internationales. Baptisé inquiétante RDC, miroir de l’Afrique, ce chapitre prouve que ce qu’est la RDC en Afrique, l’Afrique l’est à son tour au monde. Un constant amère de l’auteur  selon lequel si l’école continue à fonctionner au Congo ce qu’elle existe déjà et qu’il n’y a aucun motif valable pour qu’elle meure, le pousse à un certain nombre de questionnements : quelle est la qualité de cet enseignement ? Selon quelles orientations devrait-il fonctionner ? Contre quels maux de la société devrait-il lutter ? De quelles stratégies devrions-nous nous doter pour que l’école obéisse à des impératifs clairs dans l’ordre mondial actuel ? Ainsi il pense une orientation à deux voies : d’abord une orientation des institutions scolaires et universitaires vers la renaissance du Congo et la renaissance de l’Afrique par l’énergie de la liberté et du pouvoir créateur, dans tous les domaines, ensuite la construction d’une vision profondément congolaise de l’altermondialisation comme nouvel horizon d’humanité. La visée pour le premier registre est la construction d’une éducation de l’excellence contre ce que Mokonzi appelle l’école de la médiocrité tandis que le deuxième s’oriente vers l’homme congolais conscient des enjeux de l’intelligence, des valeurs de vie et des choix ultimes de sens pour l’existence nationale. C’est ainsi qu’il faut préparer l’avenir lointain dans une responsabilité qui nous lie aux générations futures.
Au point abordant la question de la sagesse écologique du monde, l’auteur estime que l’écologie est le domaine où nous pouvons être à la pointe du monde parce que nous avons à défendre notre terre, vu que nous avons la possibilité de créer un mode de vie d’avenir qui puisse s’imposer comme quelque chose de nouveau dans les impasses de la modernité. Le nom de cet espace, c’est le développement durable et solidaire. Suite à une exploitation irrationnelle et barbare de l’espace vert, le monde vit aujourd’hui des moments dangereux qui exigent un engagement écologique comme un nouveau choix de civilisation. Il est de notre intérêt d’inscrire dans l’ordre éducatif ce souci écologique pour la sauvegarde de la Maison commune dont parle le pape François.  En effet, les conséquences de l’industrie se découvrent à nues, au su et au vu du monde, d’où la nécessité d’œuvrer pour un humanisme écologique,[2] s’il faut parodier  Jean-Blaise Kenmogne. Eduquer l’Africain à cet humanisme se veut œuvrer pour une conversion morale de l’humanité[3] face à la menace de l’instrument dont dispose l’homme qui d’un moment à l’autre pourrait signer sa perte quand on sait bien l’histoire d’Hiroshima et Nagasaki.
De ce qui précède, l’auteur change des vues et se tourne vers le Pouvoir politique et pesanteurs tribales. Ce point porte sur trois contradictions fondamentales qui tissent les relations vécues au pays de Lumumba : Une contradiction au cœur de nous-mêmes,  une contradiction avec le monde et une autre avec l’avenir. Dans le discours congolais s’observe un désir d’unité, alors que lorsqu’il s’agit d’assumer réellement les conditions d’unité, tout dérape et les esprits s’emmurent dans des visions tribalo-ethniques. Quand à travers le monde, tout vibre au rythme de la construction des grands ensembles politiques et économiques pour la conquête du monde,  l’auteur trouve qu’au Congo,  tout est structuré au modèle des identités tribales qui nous déforcent ; c’est notre contradiction avec le monde. Par ailleurs, l’avenir de toute nation dépend de la vision que les citoyens ont  d’eux-mêmes ; or, l’idée que l’homme congolais a de lui-même se détermine toujours par les pathologies ethniques, l’orientation même  de notre avenir se met en danger. Kä Mana l’appelle contradiction avec l’avenir. Contre toutes ces pathologies, il faut une éducation pour un Congo de la raison et du bon sens. N’est-il pas impérieux d’inscrire dans l’éducation citoyenne responsable une vision d’être-ensemble, de vivre-ensemble, de penser-ensemble, de rêver-ensemble ? L’heure vient et il est déjà venu où doivent s’unir  les anti-tribalistes congolais pour détribaliser la société congolaise.
Aujourd’hui, les nouvelles dimensions du genre exigent à l’entendement non de se battre pour la reconnaissance de l’égalité anthropologique fondamental entre l’être masculin et l’être féminin mais plutôt de fonder sur cette égalité une vision globale du monde qui s’attaque à toutes les inégalités, à toutes les injustices, à toutes les discriminations et à toutes les iniquités entre les êtres humains dans tous les domaines de leur existence et dans toutes les dimensions de leurs existences. Ainsi dans l’avant dernier point traitant de l’approche genre et ses enjeux pour l’éducation politique de la jeunesse africaine, il souligne deux impératifs sur lesquels se fonde l’authenticité de l’être-ensemble des personnes et des sociétés : d’abord la question du bien et du mal pour la construction d’une communauté d’existence sur des exigences des valeurs et ensuite la question du sens à donner au destin des communautés humaines contre toutes les forces du non-sens, de l’absurdité  et du chaos. La finalité ici c’est le bonheur partagé.
Enfanter les créateurs d’avenir, ainsi est titré le dernier point de ce précieux livre. Pour ouvrir les yeux des jeunes africains sur la tâche qui est la leur ici et maintenant, l’auteur partage sa certitude profonde à ses jeunes étudiants : «  En cinq siècles, il y a eu sur le sol d’Afrique des générations de souffrances et du martyr, au cœur des ténèbres et des gouffres indicibles. Il y a eu une génération dont la mission fut de donner la parole aux Nègres et de leur ouvrir l’horizon de la liberté. C’était la génération de la négritude. Elle rendit possible les débats les plus chauds sur l’identité et sur la liberté, dans une gigantomachie épique dont les successeurs, dans une magnifique passion critique, firent flamboyer les exigences dans des philosophies de la libération et de la reconstruction africaine. Moi j’appartiens à la génération suivante, dont la tâche est de booster l’imaginaire de la jeunesse, ici et maintenant. Vous, jeunes d’aujourd’hui, vous  êtes la génération de cet imaginaire créateur. A vous de créer l’Afrique nouvelle. » De quelle Afrique s’agit-il ?, demanderais-je à l’auteur. De l’Afrique de nos rêves, de l’Afrique de nos ambitions, celle de nos luttes, une Afrique qui compte dans le monde et sur laquelle le monde peut compter. L’éducation en Afrique devrait être celle de la réinvention de cette Afrique nouvelle. Elle est de la promotion de tout l’homme et de tous les hommes.
Dans la mesure où les réflexions rassemblées dans cet ouvrage sont une invite pour un changement effectif à partir de l’art de l’inservitude et du leadership éthique, sa force est le non-écrit : notre engagement pour changer le Congo, changer l’Afrique tout entière.



[1] L’affirmation est du président français Nicolas SARKOZY à l’université Cheik Anta Diop à Dakar en mai 2007.
[2] Lire Jean-Blaise Kenmogne, Pour un humanisme écologique. Crise écologique contemporaine et enjeux d’humanité, Yaoundé, éditions Clé, 2015, 233 pages.
[3] Ibidem, p. 41.

mardi 7 mars 2017

Recension :




Kä Mana, Réimaginer l’éducation de la jeunesse africaine. Idées directrices et orientations fondamentales, Goma-Yaoundé, Pole Institute et AIS éditions, 2013, 161 pages. ISBN : 978-9956-799-03-9
 
S’il est un livre inaugural de ma route vers le sommet d’ascèse intellectuelle, c’est sans doute Réimaginer l’éducation de la jeunesse africaine. Idées directrices et orientations fondamentales. Son auteur, Kä Mana, est poète, philosophe, théologien et analyste politique. Professeur des universités, il est animateur du programme « Université alternative pour l’éducation à la transformation sociale » à l’Institut interculturel dans la Région des Grands Lacs (Pole Institute).
Se situant dans les cycles du changement que l’Afrique est appelée à opérationnaliser, l’auteur porte son attention sur l’éducation dans cet ouvrage riche en réflexions et invite les générations montantes à créer l’Afrique nouvelle, celle de nos rêves, de nos pensées, de nos luttes. A partir des rêves, le philosophe congolais (RDC) use de sa sorcellerie réflexive pour construire des idées directrices tout en ouvrant les voies à des orientations qu’il juge fondamentales pour l’éducation de la jeunesse africaine, dans une perspective holistique qui embrasse à la fois, la politique, la crise anthropologique, l’écologie, le genre, la culture et la société. Prenons l’audace de savourer les délices qui riment le verbe de ce livre, page après page.
Dans un chant incandescent, l’autre loue  le pouvoir fascinant de l’Afrique à travers la ville de Kribi. De cinq pouvoirs s’imposant à toute personne qui visite cette ville camerounaise, existe un pouvoir de tranquillité, dans la communion avec le cosmos en toutes ses forces déchainées, avec les êtres dans toutes les incantations de leurs attraits.De ce pouvoir s’impose une rencontre avec quelque chose d’essentiel, comme le soutient l’auteur : mon« moi »comme souci de silence et quête d’une certaine profondeur dans la rencontre avec mes propres abimes, ce mystère des mystères qui couve au fond de chacun, de chacune d’entre nous, les humains, et qui se découvre seulement à certains moments et en certains lieux privilégiés, comme Kribi. C’est là qu’il s’engage à réfléchir sur son devoir à l’égard de la jeunesse africaine. De ce lieu béni, une évidence traverse l’esprit de l’auteur : le vrai problème de l’éducation, c’est de passer de la culture de la conformation au monde à la culture de l’invention d’un autre monde. Ce dont il s’agit, c’est de rompre radicalement d’avec la culture de la conformation au monde pour embrasser celle de l’imagination créatrice. Ici vibre l’urgence d’une éducation des jeunes à l’esprit créatif. Transcendant la sphère de conformation, l’autre appel est celui, si l’on veut changer l’Afrique, de la voir du point de vue positif, du côté de ses forces. Au-delà de penser l’invention, Kä Mana nous convie aussi à repenser le cadre spatial et architectural de nos structures scolaires car, pense-t-il, la beauté est la condition de l’éducation réussi, la pulsation intime de la passion du savoir. Ambitionnant la construction d’une société heureuse, l’éducation en Afrique  se veut être une guerre et avec toutes ses exigences : l’ordre, la discipline et la rigueur.
Le point deux, intitule le vieux penseur et l’éducation, aborde une rencontre avec l’inattendu, sous les beaux cieux, sur une affirmation selon laquelle l’Afrique n’était pas encore entrée dans l’histoire.[1] Bien qu’il soit décidé de ne pas verser dans le discours pro ou contre cette phrase de Sarkozy comme ceci eut un retentissement outré dans le monde de l’intelligentsia africaine, l’auteur se trouve devant un interrogatoire qui l’oblige pourtant d’en discuter encore avec un étranger. L’entretien prend l’élan de la relation Afrique-Occident, qui malheureusement est celle des aveugles qui conduisent d’autres. Dès lors que le problème est l’ordre dans lequel l’Occident conduit le monde, on pourrait chercher à savoir où aller avec quelqu’un qui ne va nulle part. À répondre à cette interrogation, on voit que l’histoire n’est que celle qui commence. Si l’histoire n’est qu’à ses débuts, alors l’Europe comme l’Afrique toutes deux ne sont pas encore entrées dans l’histoire. Elle (l’histoire) s’offre comme ensemble de possibilités fondamentales et comme faisceau d’exigences d’inventions capitales sur lesquelles nous devons avoir les yeux ouverts,  c’est à elle qu’il faut éduquer les générations montantes au lieu de les aveugler dans des conceptions qui pensent l’histoire comme une ligne avec la pointe qu’est l’Occident. L’histoire est le non-encore fait et elle est avenir. Cette histoire est de la lutte pour le sens qu’est l’amour contre le non-sens (la violence) pour la promotion humaine. Dans une société où la violence a pris le dessus sur l’amour, l’histoire à construire exige l’éducation à une société heureuse basée sur l’amour. C’est là le chemin du sens contre le non-sens. Tel est l’engagement pour changer le monde comme aimer c’est lutter contre le mal et créer l’espace du bien.
Dans la splendeur de l’amour et l’éclat de tous les rêves, l’auteur pense qu’éduquer c’est en fait ouvrir l’être à tout son pouvoir profond d’aimer. C’est libérer le profond, le sublime, l’exaltant et fécondant pouvoir de l’amour. C’est faire découvrir à chaque être la force d’aimer qu’il y a en lui.
Le quatrième en plus d’étonner l’auteur, désole sur le fait que sur la liste de 100 meilleures universités africaines, la RDC occupe la 87ème position, encore par l’extension d’une université américaine à Kinshasa. Comment expliquer que la RDC qui eut la première université du continent n’est plus à mesure de placer même un de ses établissements sur la liste des institutions répondant aux normes internationales. Baptisé inquiétante RDC, miroir de l’Afrique, ce chapitre prouve que ce qu’est la RDC en Afrique, l’Afrique l’est à son tour au monde. Un constant amère de l’auteur  selon lequel si l’école continue à fonctionner au Congo ce qu’elle existe déjà et qu’il n’y a aucun motif valable pour qu’elle meure, le pousse à un certain nombre de questionnements : quelle est la qualité de cet enseignement ? Selon quelles orientations devrait-il fonctionner ? Contre quels maux de la société devrait-il lutter ? De quelles stratégies devrions-nous nous doter pour que l’école obéisse à des impératifs clairs dans l’ordre mondial actuel ? Ainsi il pense une orientation à deux voies : d’abord une orientation des institutions scolaires et universitaires vers la renaissance du Congo et la renaissance de l’Afrique par l’énergie de la liberté et du pouvoir créateur, dans tous les domaines, ensuite la construction d’une vision profondément congolaise de l’altermondialisation comme nouvel horizon d’humanité. La visée pour le premier registre est la construction d’une éducation de l’excellence contre ce que Mokonzi appelle l’école de la médiocrité tandis que le deuxième s’oriente vers l’homme congolais conscient des enjeux de l’intelligence, des valeurs de vie et des choix ultimes de sens pour l’existence nationale. C’est ainsi qu’il faut préparer l’avenir lointain dans une responsabilité qui nous lie aux générations futures.
Au point abordant la question de la sagesse écologique du monde, l’auteur estime que l’écologie est le domaine où nous pouvons être à la pointe du monde parce que nous avons à défendre notre terre, vu que nous avons la possibilité de créer un mode de vie d’avenir qui puisse s’imposer comme quelque chose de nouveau dans les impasses de la modernité. Le nom de cet espace, c’est le développement durable et solidaire. Suite à une exploitation irrationnelle et barbare de l’espace vert, le monde vit aujourd’hui des moments dangereux qui exigent un engagement écologique comme un nouveau choix de civilisation. Il est de notre intérêt d’inscrire dans l’ordre éducatif ce souci écologique pour la sauvegarde de la Maison commune dont parle le pape François.  En effet, les conséquences de l’industrie se découvrent à nues, au su et au vu du monde, d’où la nécessité d’œuvrer pour un humanisme écologique,[2]s’il faut parodier  Jean-Blaise Kenmogne. Eduquer l’Africain à cet humanisme se veut œuvrer pour une conversion morale de l’humanité[3] face à la menace de l’instrument dont dispose l’homme qui d’un moment à l’autre pourrait signer sa perte quand on sait bien l’histoire d’Hiroshima et Nagasaki.
De ce qui précède, l’auteur change des vues et se tourne vers le Pouvoir politique et pesanteurs tribales. Ce point porte sur trois contradictions fondamentales qui tissent les relations vécues au pays de Lumumba : Une contradiction au cœur de nous-mêmes,  une contradiction avec le monde et une autre avec l’avenir. Dans le discours congolais s’observe un désir d’unité, alors que lorsqu’il s’agit d’assumer réellement les conditions d’unité, tout dérape et les esprits s’emmurent dans des visions tribalo-ethniques. Quand à travers le monde, tout vibre au rythme de la construction des grands ensembles politiques et économiques pour la conquête du monde,  l’auteur trouve qu’au Congo,  tout est structuré au modèle des identités tribales qui nous déforcent ; c’est notre contradiction avec le monde. Par ailleurs, l’avenir de toute nation dépend de la vision que les citoyens ont  d’eux-mêmes ; or, l’idée que l’homme congolais a de lui-même se détermine toujours par les pathologies ethniques, l’orientation même  de notre avenir se met en danger. Kä Mana l’appelle contradiction avec l’avenir. Contre toutes ces pathologies, il faut une éducation pour un Congo de la raison et du bon sens. N’est-il pas impérieux d’inscrire dans l’éducation citoyenne responsable une vision d’être-ensemble, de vivre-ensemble, de penser-ensemble, de rêver-ensemble ? L’heure vient et il est déjà venu où doivent s’unir les anti-tribalistes congolais pour détribaliser la société congolaise.
Aujourd’hui, les nouvelles dimensions du genre exigent à l’entendement non dese battre pour la reconnaissance de l’égalité anthropologique fondamental entre l’être masculin et l’être féminin mais plutôt de fonder sur cette égalité une vision globale du monde qui s’attaque à toutes les inégalités, à toutes les injustices, à toutes les discriminations et à toutes les iniquités entre les êtres humains dans tous les domaines de leur existence et dans toutes les dimensions de leurs existences. Ainsi dans l’avant dernier point traitant de l’approche genre et ses enjeux pour l’éducation politique de la jeunesse africaine, il souligne deux impératifs sur lesquels se fonde l’authenticité de l’être-ensemble des personnes et des sociétés : d’abord la question du bien et du mal pour la construction d’une communauté d’existence sur des exigences des valeurs et ensuite la question du sens à donner au destin des communautés humaines contre toutes les forces du non-sens, de l’absurdité  et du chaos. La finalité ici c’est le bonheur partagé.
Enfanter les créateurs d’avenir, ainsi est titré le dernier point de ce précieux livre. Pour ouvrir les yeux des jeunes africains sur la tâche qui est la leur ici et maintenant, l’auteur partage sa certitude profonde à ses jeunes étudiants : «  En cinq siècles, il y a eu sur le sol d’Afrique des générations de souffrances et du martyr, au cœur des ténèbres et des gouffres indicibles. Il y a eu une génération dont la mission fut de donner la parole aux Nègres et de leur ouvrir l’horizon de la liberté. C’était la génération de la négritude. Elle rendit possible les débats les plus chauds sur l’identité et sur la liberté, dans une gigantomachie épique dont les successeurs, dans une magnifique passion critique, firent flamboyer les exigences dans des philosophies de la libération et de la reconstruction africaine. Moi j’appartiens à la génération suivante, dont la tâche est de booster l’imaginaire de la jeunesse, ici et maintenant. Vous, jeunes d’aujourd’hui, vous  êtes la génération de cet imaginaire créateur. A vous de créer l’Afrique nouvelle. »De quelle Afrique s’agit-il ?, demanderais-je à l’auteur. De l’Afrique de nos rêves, de l’Afrique de nos ambitions, celle de nos luttes, une Afrique qui compte dans le monde et sur laquelle le monde peut compter. L’éducation en Afrique devrait être celle de la réinvention de cette Afrique nouvelle. Elle est de la promotion de tout l’homme et de tous les hommes.
Dans la mesure où les réflexions rassemblées dans cet ouvrage sont une invite pour un changement effectif à partir de l’art de l’inservitude et du leadership éthique, sa force est le non-écrit : notre engagement pour changer le Congo, changer l’Afrique tout entière.


[1] L’affirmation est du président français Nicolas SARKOZY à l’université Cheik Anta Diop à Dakar en mai 2007.
[2] Lire Jean-Blaise Kenmogne, Pour un humanisme écologique. Crise écologique contemporaine et enjeux d’humanité, Yaoundé, éditions Clé, 2015, 233 pages.
[3]Ibidem, p. 41.

mardi 14 février 2017

Recension du livre de Benoit AWAZI MBAMBI KUNGUA, Panorama des théologies négro-africaines anglophones, Paris, l’Harmattan, 2008, 283 pages. ISBN : 978-2-296-06056-2, 27,50 €,






Recension
Benoit AWAZI MBAMBI KUNGUA, Panorama des théologies négro-africaines anglophones, Paris, l’Harmattan, 2008, 283 pages. ISBN : 978-2-296-06056-2, 27,50 €

Par Innocent Mpoze (innocent.gas@gmail.com)

Il y a quelques mois, j’ai lu une réflexion de Gilbert Delanoue, un prêtre de la communauté ‘’Mission de France’’ qui passe aujourd’hui le moment de sa retraite à Havre. Après d’intenses années de service dans le sacerdoce comme curé des paroisses, il a trouvé utile de livrer au public un cahier riche en pensée au titre de : ‘’Les questions de ma foi et quelques réponses’’, où il poursuit deux objectifs : faire le point sur la façon dont il partage la foi de l’Église et faire connaître aux croyants ou incroyants, les questions qu’il se pose et comment il y répond pour susciter des échanges fraternels.
De cette lecture remonte ma ferme et ardue décision de consacrer mon temps aujourd’hui à la lecture des théologiens africains pour puiser dans leur verbe quelques lumières à même d’éclairer mes interrogations sur le christianisme pour éviter tout subjectivisme qui inconsciemment et/ou consciemment, a caractérisé le jeune enfant de la catéchèse devenu après catéchiste, le servant des messes et le jeune vocationnel que j’étais depuis ma tendre enfance. Ainsi sur ma route de lectures, un livre a retenu mon attention, c’est le Panorama des théologies négro-africaines anglophones. Son auteur est le philosophe, théologien et sociologue congolais Benoît AWAZI MBAMBI KANGU. Aujourd’hui président du CERCLECAD (Ottawa, Canada), il est écrivain et auteur de plusieurs publications. Ses recherches  pluridimensionnelles articulent judicieusement les ressources de la théologie, de la philosophie et des sciences sociales et politiques dans la recherche des stratégies efficaces de « sortie » de la crise protéiforme qui paralyse et bloque les sociétés noires contemporaines (Panorama des théologies négro-africaines anglophones, verso page de couverture).
Citant d’entrée de jeu les déclarations de Joseph Ratzinger (reconnu par le nom de Benoît XVI comme pape depuis Avril 2005), au sujet du ‘’caractère prétendument programmatique’’ de la théologie africaine, l’auteur montre en quoi l’heure n’est plus de nos jours sur les polémiques de la question de l’existence ou de la non-existence d’une théologie chrétienne en Afrique, mais bien d’exposer systématiquement et théologiquement les nouvelles modalités proprement africaines d’être disciple de Jésus-Christ dans le monde d’aujourd’hui. L’intérêt étant de procéder à une lecture de l’intérieur du paysage religieux africain postcolonial pour voir les métamorphoses théologiques et les nouvelles modalités politiques, sociales et culturelles qui apparaissent dans le christianisme africain postcolonial, pousse l’auteur à dérouler la thèse qu’il trouve heuristique et herméneutique :  « le christianisme occidental et missionnaire implanté en Afrique durant l’entreprise de colonisation militaire, politique et culturelle ne deviendra effectivement et authentiquement négro-africain que si et seulement si, les chrétiens africains posent des actes de liberté théologique et herméneutique en se réappropriant les ressources mystiques, théologiques, métaphysiques et politiques de la foi chrétienne pour un travail interprétatif long, patient et exigeant. » Ainsi commence ce long voyage littéraire consacré aux théologiens de l’aire anglophone de l’Afrique. Subdivisé en deux chapitres, l’ouvrage repose sur trois principaux lieux que sont l’Afrique subsaharienne, l’Afrique du sud et les États-Unis d’Amérique.  Il est de l’intérêt des Africains de découvrir la forêt que cache l’arbre de ce livre.
Non pour détruire comme la ville de Goma l’a connu l’année 2002, le volcan de ce livre vomit dans son premier chapitre la lave des principaux courants de la théologie négro-africaine anglophone.
Dans une relecture de l’œuvre du théologien spiritain nigérian, Eugen Uzukwu, le titre prend l’axe des liturgies chrétiennes inculturées en Afrique. La personne du cardinal congolais (RDC) Joseph Albert MALULA dans ses mérites épouse la préoccupation centrale du théologien nigérian qu’est l’urgence de promouvoir sur le plan panafricain des célébrations eucharistiques inculturées et vivantes qui puissent être des lieux de vie, d’espérance et de renaissance, où les chrétiens africains puisent au plus profond de leurs ressources culturelles, anthropologiques et religieuses pour vivre dans la joie et l’action de grâce le Mystère de la résurrection de Jésus-Christ. Un appel impératif à l’endroit des autorités religieuses africaines qui usent abusivement de leur pouvoir sans se rendre compte des conséquences désastreuses découlant de leur pouvoir autoritaire (qui est le même pour les politiques). La première conséquence néfaste pour l’Afrique est l’exode des jeunes Africains vers l’eldorado européen et nord-américain, pour tenter d’échapper à la misère chronique, intellectuelle et morale qui caractérise les sociétés africaines postcoloniales. Cet appel est celui-ci, de notre avis : œuvrer pour s’insurger contre la non-humanité des Africains. Face aux tragédies humaines (génocides, guerres civiles, refugiés, dictatures militaires, malaria, Sida), souligne l’auteur, il est de la responsabilité des théologiens et chrétiens d’agir collectivement pour la reconstruction des sociétés démocratiques et pacifiques en Afrique postcoloniale. C’est à cela que doit se concentrer et se focaliser la pastorale sociale des Eglises africaines dans un monde, où les plus forts et les plus riches mangent les plus faibles et les plus pauvres sans aucune vergogne. C’est aussi du rôle de l’Eglise de lutter contre la violence politique, les discriminations raciales, les identités coloniales qui fragilisent les sociétés africaines contemporaines, les dictatures, les oppressions, les catastrophes naturelles qui menacent le monde aujourd’hui. 
Le deuxième axe du discernement théologique du monde des esprits ressort des grandes figures africaines comme messeigneurs Patrick Achille KALILOMBE et Emmanuel MILINGO. Pour le premier, il est impossible et insensé de réfléchir sur la théologie des religions africaines sans accorder une place primordiale et déterminante à la question redoutable du monde invisible des esprits, des ancêtres et du Dieu créateur de la totalité du réel visible et invisible. Ainsi dans son étude « Spirituality in the African perspective » il montre la place prépondérante et matricielle de la spiritualité et du monde de l’invisible dans les récits archéologiques, sotériologiques, thérapeutiques et eschatologiques des Africains. De Milingo, il faut retenir pour son travail d’exorcisme qui lui a coûté divers reproches, remarques et humiliations depuis le Saint-Siège, la radiation thérapeutique (processus de transmission directe de l’énergie divine à un malade par l’intermédiaire d’un prophète mandaté et envoyé par Dieu). J’aurais voulu que l’auteur exprime sa révérence à un autre religieux et philosophe de proue de la RDC dans sa vision de la spiritualité, il s’agit de Tshiamalenga Ntumba. Contre le substantialisme, le dualisme, l’anthropomorphisme, le personnalisme, le créationnisme, ce penseur congolais nous invite à l’étonnement, l’émerveillement, l’évènementiel de chaque instant dans le cosmique, dans le vivant, dans l’humain et dans l’imaginaire, etc., et qui serait le centre de la rencontre du divin, du cosmique et de l’humain.[1]   
L’irruption du troisième axe traite de l’herméneutique négro-africaine de la Bible. John MBITI (théologien du Kenya) fait apparaître dans son œuvre de facture philosophique et théologique, les similitudes culturelles et spirituelles entre les cultures négro-africaines et la culture hébraïque. Bien qu’il ait plus d’un aspect manifeste des relations étroites entre les cultures africaines et la culture hébraïque, l’oralité nous frappe d’emblée dans ce passage. Jésus lui-même, pense l’auteur, ne nous a pas laissé des textes écrits bien qu’il sût écrire. Ainsi l’auteur se demande si la crise spirituelle et axiologique du christianisme occidental n’est pas d’abord et en priorité une crise de la mémoire causée par l’absence de structures orales, familiales et communautaires de transmission de la foi chrétienne et de la culture biblique dans une Europe industrialisée et soumise à la dictature sournoise de la rationalité instrumentale, matérialiste, positiviste et athée.  Si la communauté ecclésiale n’a de sens et de cohésion qu’autour de l’adhésion de chaque chrétien au mystère pascal du Seigneur crucifié et ressuscité et que la communauté des hébreux n’avait raison d’être ultime que dans la fidélité à l’alliance au Sinaï entre Dieu et les ancêtres qui sont sortis d’Egypte alors, conclue l’auteur, nous pouvons affirmer fermement que la foi chrétienne ne peut pas se comprendre correctement dans une culture  technoscientifique et numérisée qui occulte le caractère structurant et matriciel de la communauté vivante des humains à tous les niveaux de la vie quotidienne.
L’axe des christologies négro-africaines inculturées prouve combien en Afrique le Christ est adoré et célébré comme le Fils de Dieu, le Grand Guérisseur et le Grand Vainqueur des forces du mal et de la mort. Ceci traverse aussi bien l’œuvre de Justin UKPONG (une invite aux chrétiens de confesser le Christ comme le Fils unique de Dieu et Sauveur du monde), le tanzanien Charles NYAMITI (son œuvre théologique s’oriente vers la recherche des voies africaines pour une compréhension approfondie et inculturée  du Royaume de Dieu annoncé par Jésus-Christ) qui exhorte les théologiens africains à s’impliquer dans l’étude d’autres traditions et écoles théologiques qui constituent le patrimoine dogmatique et kérygmatique de toute l’Eglise universelle, Bénezet BUJO (dès lors que Jésus en tant que vainqueur devient « proto-ancêtre » dans la puissance divine de l’amour qui transcende et surmonte tous les obstacles qui empêchent l’épanouissement plénier de la vie qui vient de Dieu, le théologien congolais-RDC propose un modèle démocratique de l’Eglise en Afrique, où les laïcs sont consultés, impliqués et respectés par les prêtres et les religieux qui n’ont ni le monopole du pouvoir ni celui de la science).
L’axe des théologiens de l’Afrique de l’Ouest embrasse l’œuvre d’Emmanuel Martey, de Kwame Bediako, de Kwesi A. Dickson, de John S. Pobee et de Byang Kato.  Du premier nous retenons trois paradigmes (les théologies de reconstruction, les théologies des pentecôtismes et des charismatiques du réveil et les théologies des différentes Eglises afro-chrétiennes ou indépendantes de toute allégeance aux Eglises chrétiennes occidentales et missionnaires) qui constituent bien qu’encore à l’état embryonnaire, des nouvelles initiatives par une même volonté de libération holistique du continent africain qui subit en plein cœur les assauts virulents et intempestifs de la mondialisation néolibérale et des idéologies athées, matérialistes, nihilistes et consuméristes qui la sous-tendent. C’est ce même désir qui traverse de part en part l’engagement de Kwame Bediako, Kwesi A. Dickson, John S. Pobee et Byang Kato. Pour cela pense le professeur Kwesi A. Dickson, il faut en Afrique une formation solide et universitaire des théologiens, des séminaristes, des pasteurs et des chrétiens pour qu’ils soient à même de faire la théologie africaine en se conformant aux exigences académiques et épistémologiques de la communauté scientifique internationale.  Nous pensons de notre part que cette conformation se doit être libératrice et émancipatrice pour les Africains, sinon elle n’a aucun sens. S’il faut se conformer, c’est exclusivement pour éviter le déphasage, ni plus ni moins.
La partie consacrée aux théologiens de l’Afrique du Centre et de l’Est présente le camerounais Victor Wan-Tatah, J. G Healey, Donald F. Sybertz, Laurenti Magesa, la théologie négro-africaine de la reconstruction (une émanation théologique de la CETA ou AAC, Gwinyai Muzorewa.  Depuis les luttes théologiques pour une christologie négro-africaine de la libération globale, passant par la théologie africaine narrative, la théologie prophétique africaine de la reconstruction, de la théologie négro-africaine de la reconstruction que pense le CETA jusqu’à la proposition d’une mise en perspective historique de la théologie négro-africaine, ce point débouche sur une évidence qui nous semble incontournable pour l’Afrique : notre appropriation de la foi chrétienne doit être une libération radicale des Africains contre toutes les menaces qu’impose aux pays du tiers du monde la politique de la mondialisation néolibérale.
L’engagement prophétique et théologico-politique de Nelson Mandela introduit le point consacré aux théologies noires de la libération de l’Afrique du Sud. Pour unir les oppresseurs d’un côté et les opprimés de l’autre, Mandela mit sur pied la commission « vérité et réconciliation.» Loin d’être parfaite, cette commission mérite d’être louée pour avoir évité des règlements de compte et des insurrections sanglantes au lendemain de l’effondrement du régime de l’Apartheid. Certes, l’Apartheid en Afrique du Sud a suscité plus d’une réaction théologique pour la lutte contre les discriminations raciales, les principaux théologiens cités par le professeur Benoît Awazi dans son ouvrage sont entre-autres : Simon MAIMELA, Desmond TUTU, Allan BOESAK, Albert Nolan, Itumeleng J. Mosala pour sa théologie prophétique et révolutionnaire. Face aux destructions morales, humaines et spirituelles causées par des siècles d’Apartheid et d’exploitation raciale et économique de la majorité noire par les autorités politiques et religieuses blanches, l’auteur montre en quoi la recherche d’Albert Nolan fouille les sources spirituelles et internes de l’Evangile à même de donner des solutions émancipatrices et radicales pour la construction d’une nouvelle Afrique du Sud. Et Mosala pense que la bible lue de façon dynamique, prophétique et révolutionnaire par les églises noires, constitue un outil puissant de libération des pauvres et des exploités partout dans le monde et plus précisément les millions des victimes de l’Apartheid en Afrique du Sud. Dans une lutte, il est évident que l’envie de renaître doit guider les luttes théologiques. S’il faut bien voir les désastres de l’Apartheid, la lutte des pareilles théologies devrait ambitionner de naître dans l’avenir pour l’ensemble de la communauté Sud-Africaine. Pour l’Afrique, aujourd’hui ses luttes de la renaissance devraient s’inspirer de cette bataille qu’a connue l’Afrique du Sud.
Les huitième et neuvième section du premier chapitre aborde les points relatifs aux luttes théologiques noires aux États-Unis d’Amérique. D’abord les théologies noires de la libération, ensuite les débats intellectuels et politiques autour de l’afrocentrisme. De James H. CONE, en s’appuyant sur la personne vivante et agissante de Jésus que les Noirs doivent chercher à conquérir leur humanité et leur liberté ; passant par Albert B. CLEAGE pour qui la tâche prioritaire de la christologie noire de la libération consiste à confesser et à adorer le Christ comme un leader qui combat aux côtés des Noirs pour leur libération complète et définitive des siècles d’esclavage et de domination des Blancs dans leur vie, ce point débouche sur une critique radicale de la théologie raciste et européocentrique : les voies de l’humanisme noir américain de William R. Jones. La tâche principale est ici la lutte contre le dieu raciste, colonisateur, discriminateur et diviseur. Il en est de même pour les débats instinctuels et politiques autour de l’afrocentrisme qui ont comme principal objectif, selon les mots de l’auteur, à faire des valeurs culturelles et religieuses négro-africaines l’unique centre de gravité pour tous les Noirs désirant se réapproprier leur être ou leur âme après les siècles d’aliénation intellectuelle, culturelle et religieuse par les puissances impérialistes occidentales.
Si de l’axe de la théologie féministe avec Mercy Amba ODUYOYE se pose les questions que rencontrent les femmes de la culture africaine dans leur vie de la foi en tant que disciples à part entière du Christ dans les sociétés africaines, la question qu’elle soulève vaut son importance pour l’émancipation de la femme dans nos sociétés : quelles sont les transformations et les conversions que les cultures africaines doivent-elles subir en rencontrant Jésus-Christ et son message révolutionnaire de la libération de tous les hommes sans aucune discrimination (âge, sexe, condition intellectuelle, économique, sociale) des esclavages et des servitudes de toutes sortes ? La condition marginale de femmes dans nos églises exigent d’elles un investissement ferme dans des études bibliques comme théologiques.
Pour couronner ce chapitre, l’axe du partenariat entre la théologie négro-africaine anglophone et l’Association œcuménique des théologies du Tiers-Monde (EATWOT ou AOTTM) part de l’année de création de l’organisation œcuménique des théologiens du Tiers-Monde (1976 à Dar-es-Salam) avec pour ambition une « rupture épistémologique » radicale opérée par les théologiens du tiers-monde par rapport aux systèmes théologiques et philosophiques des théologies européennes et nord-américaines. La visée est ici la libération politique et le développement économique. Bien que les théologies du tiers-monde puissent articuler leur théorie et pratique dans une praxis théologique libératrice et holistique, il faut noter que la différence se trouve au niveau du contexte dans lequel se trouve telle ou telle autre aire de vie. Certaines peuvent prendre une orientation pour relever des défis d’ordre culturel, d’autres encore d’ordre politique, d’autres d’ordre économico-politique selon les besoins et les urgences du milieu.  
Après ce long chapitre, l’auteur se tourne vers l’ordre du moment et inscrit les théologies négro-africaines de la libération dans le contexte de la mondialisation néolibérale. Aujourd’hui, pour une conversion des logiques d’exclusion qui sous-tendent l’ordre néolibéral, des voix grondent de partout dans le monde. Dans ce concert, les cris de théologiens ne sont pas restés sous silence. La réflexion de ce deuxième chapitre comme le soutient l’auteur, veut montrer et mettre en évidence les potentialités (possibilités) théologiques, spirituelles et politiques existant dans les Eglises afro-chrétiennes du réveil qui prolifèrent aussi bien en Afrique que dans les diasporas noires d’Europe et d’Amérique du Nord. Dans la mesure où une pareille appréciation conduisant à voir l’acte de fondation de ces Eglises  constitue une alternative théologique à la morosité et à la torpeur qui caractérisent les Eglises catholiques et protestantes d’institution coloniale qui reproduisent servilement les structures institutionnelles, théologiques et idéologiques eurocentriques et incapables de libérer les Africains des siècles d’esclavage culturel, mental, politique et économique, quatre sections constituent le gros de ce chapitre : une critique sociologique et épistémologique de la mondialisation néolibérale, une critique philosophico-théologique de la mondialisation technologique, une interpellation des quelques grandes figures prophétiques et charismatiques du christianisme africain postcolonial et la signification théologico-politique des nouvelles Eglises chrétiennes d’expression africaine qui émergent aussi bien en Afrique que dans les diasporas européennes et nord-américaines.
La présentation du danger de colonisation et de domestication des esprits, des mentalités et des intelligences par les nouvelles idéologies mécanistes, nihilistes et consuméristes qui sont abondamment et subtilement diffusées par les grandes firmes industrielles qui contrôlent les medias audio-visuels, les journaux et les maisons d’édition pour des ouvrages de vulgarisation et d’incitation à la consommation pour les masses, constitue la charnière de la première section. Après avoir brossé les maux de la mondialisation néolibérale, le professeur congolais pense aux mouvements sociaux qui travaillent pour des alternatives culturelles, religieuses, politiques et économiques en les invitant à donner aux individus des moyens intellectuels et pratiques pour se libérer eux-mêmes de la nouvelle dictature totalitaire du marché mondial .          
Pour la deuxième section, il montre combien de la mondialisation technologique résulte une misère anthropologique et religieuse énorme, car l’homme est réduit de façon unilatérale à un statut d’automate prêt à consommer les produits et services proposés par les propagandes publicitaires des medias occidentaux. C’est cette réduction mécaniste de ‘’l’humain’’ qu’il faut dépasser et déconstruire par une radicale critique philosophique et théologique de la mondialisation technologique et consumériste. Pour lutter contre cette volonté de totalisation positiviste, scientiste, technologique, économique unidimensionnelle de l’existence humaine, un appel de l’apôtre Paul nous emble crucial pour les Africains :   ne vous conformez pas, soyez renouvelés. Non sans raison ainsi souligne l’auteur : la fracture épistémologique et morale entre le monde techno-scientifique et le monde de la vie quotidienne et sociale exige une mobilisation des esprits et de intelligences pour mettre sur pied les conditions épistémologiques et politiques d’un dialogue interreligieux et interculturel entre toutes les traditions culturelles et religieuses de l’humanité, en évitant de tomber dans le piège néolibéral d’une uniformisation de la culture mondiale sous l’égide de l’occidentalisation  techno-scientifique et athée qui sous-tend la mondialisation économique.
L’ampleur et l’acuité de la crise négro-africaine postcoloniale requiert de la part des Eglises africaines une réaction permanente de leur mémoire prophétique et théologique, pour ainsi devenir des agents et des lieux de la libération et de la guérison holistique pour des millions d’Africains qui n’ont plus aucune raison de vivre et d’espérer dans une conjoncture mondiale désastreuse et fatale pour les sociétés économiquement et politiquement fragilisées et désorganisées d’Afrique postcoloniale. Ainsi pour l’instauration d’une culture théologique et politique d’auto-responsabilisation et d’auto-libération de toutes les formes d’esclavage visible et invisible, l’auteur propose une méditation individuelle et ecclésiale de la vie et de l’œuvre prophétique et politique des quelques grandes figures charismatiques négro-africaines. C’est là que le philosophe nous présente des noms aussi éminents de la théologie africaine comme Mgr Christophe Munzihirwa, le père Engelbert Mveng (à qui est dédié l’ouvrage pour avoir jusqu’au grand sacrifice de la vie œuvrer pour la libération holistique de la vie),  Mgr Emmanuel Kataliko, le cardinal Christian Tumi, le cardinal Gabriel Zubeir Waco. Tous ont chacun en sa manière dit « NON », continuent à dire « NON »(ceux encore vivants) aux dictatures sanguinaires.
Face à une prolifération massive des Eglises dites de réveil dans nos sociétés, la préoccupation centrale dans  la dernière section de ce chapitre est pour l’auteur d’aborder la question de l’accroissement inquiétant des départs massifs des catholiques africains qui vont dans des Eglises de réveil. Le grand défi dont parle l’auteur, ce sont ces départs. Pour y parer, il trouve que les Eglises catholiques et protestantes sont appelées et interpellées à réactiver et à actualiser publiquement la puissance contestataire, critique, subversive et libératrice de la confession publique de Dieu crucifié et ressuscité à travers les souffrances, les joies et les espoirs des Eglises chrétiennes de l’Afrique  postcoloniale.
Tout au long de cette présentation panoramique des théologiens négro-africains anglophones, l’auteur a voulu monter que Jésus-Christ crucifié, et ressuscité, qui continue à agir par son Esprit saint est un allié de taille pour aider les Africains à se libérer définitivement de tous les systèmes esclavagistes, colonialistes et tyranniques qui rendent leur vie dans le monde sans saveur, sans teneur et sans valeur.
Je ne peux ne pas me permettre de terminer cette recension sans formuler ma profonde conviction : on ne se libère que pour vivre digne et fier avec les autres dans une relation de bonheur partagé aujourd’hui, demain et à jamais. Depuis le jour où j’ai lu le livre que le sage malien Amadou Hampâte Bâ[2] a consacré à la vie et à l’enseignement de Tierno Bokar, je garde toujours en esprit la prière de ce religieux africain : je souhaite de tout mon cœur la venue de l’ère de la réconciliation entre toutes les confessions de la terre, l’ère où ces confessions unies s’appuieront les unes sur les autres pour former une voûte morale et spirituelle, l’ère où elles reposeront en Dieu par trois points d’appui : Amour-Charité-Fraternité. Ceci vaut pour l’avenir de l’humanité.
                             
                                                                                          Goma, le 08/02/2017 




[1] Kä Mana, Réinventer Nkrumah in pensée d’Africains pour africains-émission de la radio pole Fm, une présentation de Innocent Mpoze (lundi 06/02/2017).

[2] Amadou Hampâte Bâ, Vie et enseignement de Tierno Bokar. Le sage de Bandiangara, Pars, Seuil, 1980.