Recension
Kä Mana et Solange
Gasanganirwa (Dir), Les vrais enjeux de
la renaissance africaine. Pour les générations montantes, Goma, Pole
Institute, 2017, 373 pages.
Par Innocent Mpoze
Cette
publication consacrée aux enjeux de la renaissance africaine vise la
construction d’une Afrique nouvelle. Venus de différents horizons africains, ses
auteurs tentent d’apporter un éclair, chacun en ce qui le concerne, sur ce
qu’il juge nécessaire pour que l’Afrique émerge entant que sujet de sa propre
histoire dans le monde. Ce qui frappe d’emblée, ce sont les deux matrices
autour desquels gravite le cercle gnoséologique de l’ensemble des textes de
l’ouvrage. La matrice de l’analyse des crises de notre continent ouvre à une
compréhension des réalités qui sont les nôtres, dans leur dynamique de fonctionnement.
La matrice de changement des imaginaires propose des alternatives
émancipatrices pour une libération effective de l’Afrique par les africains eux-mêmes.
Dans sa visée pluridisciplinaire, ce livre se veut un remède pour guérir l’Afrique
de ses pathologies politiques, économiques et culturelles.
D’entrée
de jeu, le rôle de la maîtrise du savoir (matière grise) pour la renaissance
africaine trouve ici place dans deux mythes, celui d’Inakalé et du Roi
décapité. Pour la construction de son avenir, l’Afrique à renaître se doit de
miser sur la formation des générations montantes en investissant dans leur capital humain, par une éducation qui les
imposerait dans l’histoire de l’humanité et qui les ouvrirait à un géni
heuristique pour la construction d’une société africaine harmonieusement humaine.
C’est dans cette lancée que s’ouvre une relecture de la pensée africaine par
quelques-unes de ses grandes voix, aujourd’hui disparues : Cheik Amidou
Kané, Joseph Ki-Zerbo, Cheik Anta Diop et Kwame Nkrumah. L’école africaine, à
la lumière de Cheik Amidou Kané, devrait être pour les jeunes un espace où
s’apprend comment se vaincre soi-même
pour avoir raison avec les autres, dans un nouvel être-ensemble mondial du
bonheur partagé. De Joseph Ki-Zerbo, il faut garder comme héritage « la
force de la conscience historique africaine ». Un peuple, c’est le récit
structurant de son être au monde et sa victoire sur les forces du mal est la résultante
de l’unicité et de l’historicité qu’il assume contre vents et marées
fragilisants. Il convient alors dans la lutte de la renaissance africaine
aujourd’hui de resituer et de réinscrire
l’Afrique dans ses sources et dans ses trajectoires temporelles à partir du
point de vue de la vérité scientifique souvent occultée par la perspective
coloniale. Il en est de même pour Cheik Anta Diop et Kwame Nkrumah. L’héritage
de ces penseurs rejoint la nouvelle renaissance africaine qui devrait se penser
à partir d’une conscience historique,
d’une conscience métaphysique et
d’une conscience scientifique dans
une dynamique de régrédience, de résilience, de reliance et d’innovance,
loin des visions de renaissance africaine voulues et conçues sans les africains
et qui leurs ont été imposés qui, n’ont fait qu’accoucher des souris. C’est
dans cette idée de la nouvelle renaissance qu’une nouvelle Afrique naîtra,
l’Afrique capable, celle qui tient débout et qui marche digne et fier pour se
penser en contient de destinée.
Ainsi
finie, la première partie (orientations de base) trouve sa suite dans la
deuxième qui aborde la question des enjeux de fond de la renaissance africaine.
Kabongo Malu y présente la situation de l’Afrique dans l’ordre mondial actuel.
La matrice d’analyse inscrit le continent africain dans l’ordre totalitaire
marchand des grand-messes qui l’enfoncent dans l’asservissement. Il s’agit
entre autres de la question d’aide au développement et des dettes ; l’arme
juridique avec des institutions comme l’Organisation Mondiale du Commerce, la Cours
Pénale Internationale ; la violence symbolique, les guerres et la famine.
Il aurait été aussi intéressant que l’auteur pointe avec acuité les politiques
d’exclusion qui gouvernent l’Afrique. A ce titre on rejoindrait sa visée
prospective qui voit dans la construction des Etats-Unis d’Afrique, la seule issue, comme dirait Théophile
Obenga, pour que l’Afrique renaisse ici et maintenant. Cette Afrique devait se
définir dans une approche holistique du développement et de la vie que
Jean-Blaise Kenmogne appelle « éthique des liens ». Le fait de placer
la question des liens au centre de la préoccupation pour changer la situation
de l’Afrique impose à la renaissance africaine une double exigence :
l’exigence de responsabilité pour la
sauvegarde de la maison commune dont parle le pape François et l’exigence de
la construction des valeurs d’humanité. L’homme
n’est pas un spectateur dans l’univers mais y est un acteur appelé à le rendre plus
beau et vivable pour toute l’espèce humaine, animale et végétale. Cette double exigence
rendra alors les africains sensibles aux destructions massives qui sévissent le
monde et pour qu’ils s’inscrivent dans une philosophie où la vie dépasse
l’individuel pour embrasser le communautaire.
La
troisième partie, loin de nous enfermer dans un pessimisme marquant, s’intéresse
à quelques défis auxquels l’Afrique fait face et vise à nous pousser dans une
réflexion critique de notre situation actuelle nous africains et africaines
d’aujourd’hui pour que puissent émerger de nos luttes, des orientations pour
réussir l’Afrique. Nestor Salumu élève la voix pour fustiger le totalitarisme
et la kleptomanie qui gouvernent en Afrique. Comme la crise de la démocratie en
Afrique est avant tout une crise de rationalité, une crise éthique de sens de
responsabilité communautaire, il pense qu’il faut chercher à surmonter le fossé
existant entre la fondation rationnelle de la démocratie et son application
pratique. D’où le rôle auquel il convie le philosophe africain, à la suite de
Karl Marx, de dépasser l’étape d’interprétation du monde pour celle de sa
transformation. L’orientation s’enracine ici dans une visée de construction
d’une culture démocratique africaine à partir des valeurs de la vision
africaine du monde. Dans cette lutte de promotion d’une éthique africaine de la
rationalité, du dialogue et de la responsabilité, on comprendra alors pour quoi
il faut une gestion juste et rationnelle des ressources allouées à la lutte
contre le sida, selon que le souligne Samuel Wafo dans son texte
« L’argent du sida en Afrique. Quand le VIH fait perdre beaucoup de
sous. » Sur la même lancée, Laurent Muhima Sebisogo propose une vision
économique sociale et solidaire pour un imaginaire économique du développement
en Afrique. Pour lui, l’économie sociale apparaît
comme un outil qui permettrait aux populations de se prendre en charge sur les
plans économique, social et culturel, et de participer à la construction
politique de leurs nations. C’est sa manière de joindre sa voix au timbre
du courant altermondialiste qui milite vigoureusement, aujourd’hui, pour une économie
du bonheur partagé visant la construction d’une société heureuse, pour parodier
le professeur Kä Mana. S’il on admet que la construction d’une société heureuse
soit une préoccupation communautaire, on intègrera ainsi la question de la
stabilisation que veulent les femmes et les jeunes, tel que présenté par Prosper
Hamuli Birali. Le résultat de son travail de terrain rejoint la notion de
construction d’une société d’en-commun. S’inscrivant en faux contre les
coutumes rétrogradés et les comportements destructeurs qui constituent le
fondement de la violence faite aux femmes, Solange Gasanganirwa revient sur la
place et le rôle incontournable de la femme dans la société et suggère son
intégration effective car, ensemble tout
est possible. Analysant toujours cette violence faite aux femmes, dans un
contexte de domination patriarcale ;
André Yiga se consacre avec une équipe de sociologues à analyser
l’impact psychosociologique sur les femmes, des rites de veuvage. Le ton est
alarmant, les pratiques de dot et de mariage que subissent les femmes de
l’Ouest du Cameroun ne sont qu’une pire déshumanisation. C’est aussi contre ces
pratiques qui réduisent et/ou refusent la dignité à la femme que l’Afrique doit
renaître. Sur un autre ton, Béatrice Faye pense la renaissance dans une
relation eau-femme-vie. Le fait que la femme, souciée de la vie et survie de sa
famille, se met à la recherche de l’eau dans une aire désertique devait
éclairer les luttes de la renaissance africaine. Ainsi renaître, à la lumière
de la relation eau-femme-vie, veut dire militer pour assurer le minimum vital à
tout l’homme et tous les hommes.
Consacré
aux enjeux de la renaissance africaine, ce livre nous paraît une invite pour
rendre les générations montantes africaines sensibles aux exigences de la
définition de leur être au monde. Dans un contexte de crise néolibérale, il est
important que toutes les forces vives africaines se mettent ensemble pour assoir des bases qui pensent
l’avenir loin de la crise protéiforme et
multidimensionnelle qui paralyse les sociétés africaines, comme dirait le
professeur Benoît Awazi. Il ne s’agit pas seulement de sortir de la crise, il
s’agit aussi à l’Afrique d’ouvrir à
l’humanité toute entière les voies d’humanité dans une appropriation de ses
valeurs de « Bumuntu ». La renaissance africaine est ainsi la redécouverte
de cette humanité de l’homme et son ouverture à toute l’humanité, pour que
l’homme ait la vie et qu’il l’ait en abondance.